Correspondance
La lecture d’une correspondance est un exercice qui peut sembler fastidieux, voire aride, souvent dévolu à la personne mythique de l’historien ou de l’archiviste fleurant bon le parfum de noisette du parchemin. La correspondance Jouvet-Copeau, parue aux « Cahiers de la N.R.F. », n’est rien de cela. Elle se lit le sourire aux lèvres, en véritable roman de l’aventure théâtrale.
Lise Facchin à propos de la Correspondance Copeau-Jouvet.
Si la correspondance entre Jouvet et Copeau est la plus riche : 125 lettres, bien d’autres rendent compte également et éclairent la personnalité de Jouvet. Elles seront publiées au fur et à mesure dans les sous-menus de cette rubrique.
Les lettres (d’autres viendront…)
Dans les liens vers les sous-menus cités ci-dessous vous trouverez le contenu des lettres échangées entre Jouvet, Copeau, Gary, Anouilh …et les autres
Jean Anouilh, Louis Jouvet, Madeleine Ozeray
Correspondance entre Jacques Copeau et Louis Jouvet : Lise Facchin

C.Dullin, J. Copeau , L. Jouvet et le chien Filou
Comme l’on s’y attend, ces missives évoquent, dans un grand souci du détail, les nombreux projets de théâtre que nourrissent les deux hommes à travers l’aventure du Vieux-Colombier, même pendant les difficiles années de guerre. Le lecteur ne peut que rester étonné devant les compétences techniques de Louis Jouvet, qui fut d’abord technicien de théâtre, régisseur à toute épreuve et ne cessant jamais son travail de recherche des aménagements scéniques et, surtout, de l’éclairage. Un matériau théorique extraordinairement fécond – schémas, idées, bricolages… – se puise ainsi au fil de ces pages, Jouvet envoyant, même depuis le front, de nouvelles idées d’aménagement scénique à son « cher patron », qui les lui discute en réponse.
Si l’homme de théâtre trouvera ainsi dans cette correspondance un intérêt évident, il est manifeste par ailleurs que l’ouvrage ne saurait être réduit à cette seule dimension. Les très nombreuses lettres échangées durant les années de guerre (125 lettres conservées) sont en vérité passionnantes à plusieurs égards. Copeau, resté à l’arrière, dans les administrations du ministère de la Guerre, détaille également ce monde particulier, souvent connu des seuls spécialistes de la Grande Guerre. Jouvet, quant à lui, titulaire d’un diplôme de pharmacien, est affecté aux unités d’infirmerie après avoir passé un certain temps « simple bibi ». Il nous offre donc des descriptions, souvent pittoresques, d’un univers de la guerre dont nous avons peu l’habitude. Et puis, il faut bien le dire, Jouvet reste Jouvet : on ne peut s’empêcher d’entendre sa voix lorsqu’on le lit, et lui ne peut s’empêcher, depuis les bombardements, de relever des répliques cocasses : « Autre citation – qui vient d’un autre manilleur, très brun, très froid et très grand : “Ah oui ? Eh bien je l’em… et s’il court autant que je l’em…, on ne l’arrêtera pas demain matin, tu sais.” » *. On se surprend à éclater de rire, là où l’on a ordinairement l’habitude de sentir l’estomac se nouer.
Un appareil de notes et un lexique très riches
L’historien en aura aussi, donc, finalement, pour son argent, tant les lettres regorgent d’informations inhabituelles puisque vues par les yeux d’hommes de théâtre, s’intéressant aux postures, tons de voix, vocabulaire et autres particularités concrètes et portées par les habitudes des hommes plongés dans la guerre. Mais il n’y a pas que les années 1914-1918 qui sauront intéresser les historiens puisque, tel un roman, cette correspondance ne cesse de convoquer les plus grands personnages de l’époque : Gaston Gallimard, Paul Claudel, André Gide, Léon‑Paul Fargue, Alain Fournier… Tous seront impliqués, à un moment ou à un autre dans l’aventure du Vieux-Colombier, de sa troupe et de son école. Le travail de recherche et de documentation d’Olivier Rony, qui a su ne pas se décourager devant la masse colossale de lettres (319 au total), n’en fait que relever l’intérêt avec un appareil de notes et un lexique très riches et d’une précision chirurgicale.
Le lecteur non historien, en revanche, lui, retiendra peut-être avant tout les facettes humaines de ces hommes qui sont pourtant des légendes. Les tracas hypocondriaques de Louis Jouvet, sa fragile confiance en lui et la tendresse infinie dont il est capable ; la confiance aveugle de Jacques Copeau, sa foi catholique d’intellectuel, sa très fidèle générosité, et son exigence au bord de la tyrannie, sous laquelle se dissimule une sensibilité troublante.
Sans jamais nous tomber des mains, le livre nous fait parcourir une triple aventure. Celle d’une amitié qui s’enflamme, se nourrit, puis se délite dans l’incompréhension ; celle d’une révolution théâtrale avec la création, le remaniement, l’exportation (aux États-Unis) et la passation du théâtre du Vieux-Colombier ; et, enfin, celle, plus sous-jacente mais néanmoins passionnante, de la vie intellectuelle d’un pays, voire d’un monde, dans lequel les idées et les talents qui bouillonnaient cherchaient à unir leurs forces pour servir la création. ¶
Lise Facchin
Le blog de Bernard Morlino
Jacques Copeau (1879-1949) Louis Jouvet (1887-1951)
Deux noms au fronton du théâtre moderne. Deux noms inoubliables.
Ils étaient nés pour se rencontrer. Copeau était l’aîné. Les deux savaient lire et écrire. Ils faisaient de la mise en scène et enseignaient auprès des jeunes. Jouvet jouait, lui, à la différence de Jacques Copeau qui était très impressionnant depuis qu’en 1908 il avait cofondé la Nouvelle Revue Française. Cinq ans plus tard, il devint directeur du Théâtre du Vieux-Colombier, inauguré donc en 1913.
Copeau, très attentif aux nouveaux talents, remarque immédiatement Charles Dullin et Louis Jouvet qui devient régisseur, décorateur, assistant et bien sûr comédien. En 1914, Jouvet fut mobilisé. Le temps fort de leur amitié se déroule lors de la Première Guerre mondiale au cours de laquelle les deux hommes ne cessent pas de s’écrire. Jouvet abandonne vite la banale formule de politesse pour passer de « Cher Monsieur » à « Mon bien cher patron ». Copeau utilise un froid « Cher Jouvet » et s’autorise parfois un « Cher vieux ».
L’intensité de leur amitié, au cours de la Grande, occupe 240 pages.
L’après-guerre connaît un ralentissement (170 pages), les années 1930 sont réduites à 40 pages et celles de 1940 à 6 pages. Comme Jouvet est régisseur général, les deux collaborateurs parlent beaucoup de décor. Copeau prône un certain dépouillement. Ils parlent souvent de cubes, ce qui nous fait penser au cubisme.
Pendant les années de la Seconde Guerre mondiale, les deux amis ne correspondent pas. Entre 1941 et 1945, Louis Jouvet fit une tournée en Amérique Latine et au Mexique. Au moment où l’Europe était victime de la folie d’Hitler et compagnie, Louis Jouvet faisait du théâtre. Belle réponse à la cruauté.
Début janvier 1949 a lieu l’ultime échange de lettres. Le 20 octobre: rideau pour Copeau ! Le grand réformateur du théâtre n’était pas dupe. Il savait qu’on ne laisse que des copeaux sur cette terre, dans le meilleur des cas. Copeau a renoué avec l’esprit d’équipe si chère à Molière. Il haïssait les cabots qu’il excluait aussitôt. Il voulait des comédiens qui mettaient leur vie en jeu. Ceux-ci devenaient alors des « Copiaus ». Rien à voir avec l’esprit Gourou. Il a réussi à casser le mur entre la scène et la salle. Il exécrait tout ce qui était pompeux, prétentieux, inintelligible. Son théâtre sentait la peinture fraîche. L’odeur de la vie.
En 1975, j’ai trouvé chez un bouquiniste un petit fascicule du Vieux-Colombier daté 1921 par la NRF. Jacques Copeau y présente L’Ecole du Vieux-Colombier :« Qu’entre-t-il dans [les] vocations ? Neuf fois sur dix, beaucoup de frivolité, de paresse et de vanité, le goût des mœurs aciles, une remarquable absence de formation, de ce minimum de connaissances élémentaires requis dans tout autre métier». Il faisait rimer vocation avec éducation. Copeau rend hommage à Stanislavski qui jeta les bases de la modernité à Moscou. Le metteur en scène français voulait qu’on suive un projet commun, une doctrine. Tout ça est très bien quand on tombe sur de grands créateurs. Sinon, il faut se réjouir qu’il n’existe pas d’ENA pour les écrivains. Tous les grands stylistes sont de mauvais élèves car ils ne copient pas sur les autres. La littérature est un plaisir solitaire qui se termine en partouze !
Voici quelques lettres importantes. Le 22 août 1915, Jouvet écrit: “La « Liberté-chérie » pour laquelle on combat ne se doute pas que parfois je ne la vois pas avec d’autres yeux ni une autre âme que ceux qui sont au bagne ! (…) Mes nerfs ne sont pas faits pour cette vie-là. Quand je pense à ce que je pourrais vivre ! ». Trois jours plus tard, Copeau se laisse attendrir comme jamais : « Mon petit, mon petit, ta lettre si douce m’a mis les larmes aux yeux. Oui, j’ai pleuré doucement en pensant à ton amitié, à ta ferveur, à ta gaité , et à tout ce peu à peu qui nous ®approche l’un de l’autre davantage. Tu ne m’as jamais écrit meilleure lettre ». En 1916, le pharmacien Louis Jouvet fait office de médecin et soigne les Poilus.
Démobilisé, Jouvet va à New York pour préparer la tournée du Vieux-Colombier aux Etats-Unis, en 1917, à la demande de Clémenceau , au nom du rayonnement de la France. Le 4 septembre 1918, Copeau explique à Jouvet qu’il perd de son talent dès lors qu’ils ne sont pas ensemble : « Je suis le chef » martèle Copeau qui porte toute l’aventure du Vieux-Colombier sur ses épaules. On voit ici la querelle entre le père et le fils. Liens du sang ou lien de l’esprit, c’est toujours le même conflit qui finit par naître. A son retour à Paris, Jouvet créé aussitôt la nouvelle disposition scénique du Vieux-Colombier. La brouille est oubliée, mise sous silence.
Petit à petit, le cordon ombilical va se détacher plutôt qu’être coupé d’un seul coup. Bien avant qu’il ne soit nommé à la direction de la Comédie des Champs-Elysées, en 1924, en formant une troupe largement issue du Vieux-Colombier, Louis Jouvet fit des mises en scène à l’écart de Copeau, entre autres pour Jacques Héberttot Le Trouhadec saisi par la débauche, en 1923, à la Comédie des Champs-Elysées où il fait construire une seconde salle : le Studio du même nom.
Le 17 décembre 1925, Copeau demande à Jouvet de ne pas se servir du « titre du Vieux-Colombier (…) pour des fins de publicité ». En un mot, le Vieux-Colombier est une marque de fabrique qui signifie une excellence qui appartient à Copeau ! Le 12 mai 1927, le ton monte encore quand Copeau écrit : « Tu m’as fait trop de mal, et trop de chagrin ». (sic) Jouvet reste correct mais signale en fin lettre, le 15 mai 1927 qu’il est « irrévocablement sorti du Vieux-Colombier », l’antre de l’anti naturaliste par excellence.
La vie sépare les amants et les amis. Pas tous mais beaucoup. L’important c’est ce qui a existé. Copeau et Jouvet se sont aimés et respectés. Louis Jouvet a réussi à sortir de l’ombre du maître pour exister tout seul. Il faut s’en féliciter. Copeau était un intellectuel du théâtre. Jouvet parvint grâce au cinéma à toucher un vaste public. Il faisait du cinéma uniquement pour pouvoir faire du théâtre. “Au théâtre, on joue; au cinéma, on a joué », disait-il. Et encore: “Quand on fait du cinéma, il faut prendre une chaise!” Superbe sens de la formule qui claque. Certaines de ses mises en scène sont des références, notamment L’Ecole des femmes. Jouvet défendait son travail au centre de la scène puisqu’il jouait et interprétait Arnolphe. Un soir, en quittant le plateau, il a dit à son chien qui l’attendait dans les coulisses: “Je ne donne pas cher pour ce petit couple-là »… Jouvet-Arnolphe a prononcé ces mots, laissant sur scène Horace et Agnès. Seul un génie du théâtre peut se comporter de la sorte. Sa remarque était d’une grande justesse, et le fait de la confier à son chien n’en est que plus frappant. Sans subvention, Jouvet faisait très atention au côté économique, à l’inverse de CharlesDullin qui voyait dans les succès le meilleur moyen de stagner. Jean Anouilh, secrétaire de Jouvet, ne conservait pas que des bons souvenirs de son patron.
La remarquable édition de la Correspondance Copeau-Jouvet (annotée et rassemblée par Olivier Rony) –avec l’index des noms cités- contient des annexes très importantes dont des textes pour comprendre les tensions entre les deux amis. On a la preuve que Jouvet était très calé sur l’élaboration des décors, les coûts. Jouvet était un homme de théâtre complet, du sol au plafond. Copeau, lui, ne mettait pas autant les mains dans le cambouis. Au crédit de Jouvet, il ne tira pas la couverture à lui : quand il œuvrait au Vieux-Colombier, il reconnaissait que tout ce qu’il faisait il ne pouvait le faire que grâce à Copeau qui lui laissait carte blanche car au niveau pratique Louis Jouvet avait acquis un savoir-faire exceptionnel, au fil du temps. Il inventa les «jouvets» des lanternes tournantes, révolutionnaires pour l’éclairage (1919). Copeau aimait la rigueur du régisseur Jouvet qui ne faisait aucun cadeau aux comédiens et aux machinistes. Il acquiert beaucoup de « trucs » du métier auprès d’un dénommé Alphonse, un brillantissime chef machiniste.
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