Éclairage par Marion Chénetier-Alev
Louis Jouvet est une figure majeure dans l’histoire du théâtre de la première moitié du XXe siècle. En compagnie de Gaston Baty, de Charles Dullin et de Georges Pitoëff avec qui il fonde le « Cartel des Quatre » en 1927, il incarne et met en œuvre l’héritage de Jacques Copeau dont il est par ailleurs l’assistant à partir de 1913, travaillant avec lui au théâtre du Vieux-Colombier jusqu’en 1922. Grâce à Copeau, qui participe avec d’autres artistes et intellectuels du grand mouvement de renaissance d’un théâtre d’art au tournant des XIXe et XXe siècles, émerge en effet la conception d’un théâtre exigeant, qui rompe avec le théâtre à visée divertissante et commerciale. L’aventure commencée au Vieux-Colombier promeut un théâtre qui se mette de nouveau au service des grands textes de la littérature dramatique, qui s’ouvre aux auteurs contemporains et aux dramaturges étrangers, qui tente sans relâche d’éduquer simultanément les acteurs et le public en leur inculquant la connaissance et le goût de la beauté, de la perfection artistique.
Louis Jouvet concrétise ces aspirations. Il est un homme de théâtre complet, acteur fascinant, metteur en scène et directeur de théâtre, connaissant tout du métier et y ayant exercé toutes les fonctions avec la même passion et la même rigueur. Vouant sa vie à cet art, il en poursuit inlassablement le mystère, à travers le jeu, les mises en scène, mais aussi ses essais, Témoignages sur le théâtre et Le Comédien désincarné, qui figurent parmi les textes les plus importants consacrés à l’analyse de la pratique du comédien. À l’instar de Copeau, Jouvet sonde assez profondément le théâtre pour comprendre la vanité de toute théorie. En revanche, il est attentif à la formation de l’acteur et enseigne au Conservatoire. Après avoir installé sa troupe au Théâtre des Champs-Élysées, il dirige à partir de 1935 le Théâtre de l’Athénée, qui prend son nom, et où il demeure jusqu’à sa mort. À la même date, il présente Knock ou le triomphe de la médecine de Jules Romains, et attache à jamais son interprétation au personnage principal qu’il jouera 1500 fois. Il met également en scène, en 1936, dans une scénographie devenue célèbre et des décors de Christian Bérard, L’École des femmes, où il joue Arnolphe. S’il monte beaucoup Molière (notamment Dom Juan en 1947 et Tartuffe en 1950), il s’ouvre aussi aux auteurs contemporains (Claudel, Sartre, Genet) et étrangers. Mais la vraie rencontre artistique s’effectue avec Jean Giraudoux, qui devient le grand auteur dramatique de l’entre-deux guerres et dont il crée de très nombreuses pièces dès 1928 et jusqu’en 1945. Cette année-là, il signe sa dernière mise en scène d’une nouvelle œuvre de Giraudoux, La Folle de Chaillot, qui fait à nouveau date dans les annales du théâtre et où il joue le rôle du chiffonnier.
Marion Chénetier-Alev , auteur de : Le texte critique : expérimenter le théàtre et le cinéma aux XXème-XXIème siècles, paru en août 2013 aux presses universiataires François Rabelais