Lettre de Jean Anouilh à Madeleine Ozeray
Jean Anouilh né à Bordeaux en 1910, est très tôt passionné de théâtre – Les Mariés de la tourEiffel de Jean Cocteau en 1921 et Siegfried de Giraudoux en 1928 seront pour lui des révélations , Jean Anouilh devient secrétaire de Louis Jouvet.
Tout auteur a son metteur en scène. Giraudoux avait Louis Jouvet ; Salacrou travaillait avec Charles Dullin. Qu’à cela ne tienne ; le jeune Anouilh se met au service du grand Jouvet à la Comédie des Champs-Élysées. Mais les deux hommes ne s’entendent guère. Jouvet traite Anouilh de « miteux ». Louis méprise Jean (Anouilh) qui devra trouver un autre mentor. Il lui remet cependant une nouvelle pièce. Le directeur la range dans un tiroir, sans doute sans l’avoir lue.
Jouvet refusant de monter ses pièces, Anouilh a la chance de rencontrer Pierre Fresnay, avec lequel il connaît un premier succès d’estime – L’Hermine en 1932-, et le metteur en scène et comédien Georges Pitoëff qui lui offrira son premier véritable succès avec Le Voyageur sans bagage…

Jean Anouilh
En 1936, Louis Jouvet, à qui Anouilh espère confier la création du Voyageur sans bagage, le « fait traîner avec des proverbes de sagesse agricole ». Furieux lorsqu’il apprend que Jouvet préfère finalement monter Le Château de cartes de Steve Passeur, Anouilh transmet le jour même son manuscrit à Georges Pitoëff, directeur du théâtre des Mathurins. Il raconte :
« Je portai un soir ma pièce aux Mathurins des Pitoëff dont je n’avais même pas vu un spectacle. Le lendemain matin je recevais un pneumatique me demandant de passer le voir. Il m’attendait, souriant, dans un petit bureau étriqué, tout en haut du théâtre (je n’y pénètre jamais depuis, sans avoir le cœur qui bat – c’est là que j’ai été baptisé) et il me dit simplement qu’il allait monter ma pièce de suite. Puis, il me fit asseoir et se mit à me la raconter… J’étais jeune, je ricanais (intérieurement) pensant que j’avais de bonnes raisons de la connaître. Je me trompais. Je m’étais contenté de l’écrire, avec lui je la découvrais… […] Ce pauvre (Pitoëff) venait de me faire un cadeau princier : il venait de me donner le théâtre.. »
43e compagnie
83e Dépôt d’Inf. Auxerre
Ma chère Madeleine
De ces casernes ou je réapprend à saluer du bras gauche pour notre salut commun j’éprouve le besoin de vous écrire un mot. J’ai appris que vous vous étiez répandue en lamentations téléphoniques pour la malheureuse petite plaisanterie que je me sus permise sur le chevalier. Vous êtes une fille assez fine et assez sensible pour savoir que le chevalier venait, une fois de plus, d’être grossier avec moi – que je me retrouvais encore une fois par sa faute dans mes anciennes dispositions – renforcées – et que je n’ai vraiment pas été méchant. Je ferai peut-être un jour un vrai papier méchant sur lui – ou plutôt je ne le ferai jamais, ma chère madeleine, pour ne jamais vous faire de peine. A cause de cette soirée de Noël 1932 où nous avons été vraiment amis. Je veux vous dire aussi qu’il faut ??? – en souvenir de la même soirée – croire qu’il n’y a entre Jouvet et moi – comme il pourra le dire, comme ça pourrait se croire – aucun amour-propre d’auteur blessé. Je l’ai rencontré à un age ou je pouvais être blessé facilement – et c’est sur le plan humain qu’il m’a blessé. Je souhaiterais passionnément être joué par lui – car c’est un comédien que j’adore. Je ne tiendrais pas tellement à être monté et mis en scène par lui parce que – bien sincèrement – je ne sens pas les choses aussi nettes, aussi définitives – aussi élégamment mortes que lui. Et puis il faut s’aimer pour travailler bien ensemble. Je sens que cette petite lettre de bonne foi est inutile mais je suis assez malheureux assez humilié en ce moment pour avoir un grand besoin de bonne foi. Je vous l’adresse ma chère madeleine à huit ans de distance. J’espère qui vous la recevrez.
Affectueusement à vous.
Jean Anouilh
Et puis vous savez je trouve que c’est très bien que vous défendiez Jouvet. Qui le défendrait, si vous ne le défendiez pas ?

Ondine
Madeleine offre ce livre à Louis Jouvet. Mais la suite nous montre que celui-ci ne le conserve pas.

Madeleine Ozeray
Madeleine Ozeray fût la compagne de Louis Jouvet pendant quinze années, elle jouera, entre-autres, le rôle d’Ondine en 1939 et d’Agnès dans L’École des femmes de Molière.
Et dans Mandarine: pièce de théâtre (drame) de Jean Anouilh, écrite entre 1930 et 1932 et créée le 17 janvier 1933 au théâtre de l’Athénée, dans une mise en scène de Gérard Batbedat. Elle a fait l’objet de 13 représentations seulement.
Correspondance entre Louis Jouvet et Anouih, Extrait de Dix ans avec Louis Jouvet de Léo Lapara.
En 1949, Jouvet essaie de renouer avec Anouilh, il le conviera à deux reprises à la représentation d’Ondine, une première fois un télégramme excusera Anouilh absent de Paris, un deuxième courrier lui sera renvoyé avec la mention » renvoyée par ordre de Jean Anouilh ». Suivront les échanges suivants.
Jouvet à Anouilh, le 2 mai 1949
Mon cher ami,
N’accumulons pas les erreurs. Ce doit en être une de la poste. Je t’envoie la pièce à conviction afin que tu me dises d’une façon plus verte que tu ne peux pas venir ou que tu avoues par tendresse inversée que tu ne déteste pas Ondine ni Giraudoux.
Moi, je suis inaltérable et fidèlement ton
Louis Jouvet.
Après l’affront – car pour Louis Jouvet c’en était un – c’est plutôt gentil non ? Par retour du courrier, Anouilh se justifie:
Mon cher Jouvet,
Mon ancienne concierge est une vache qui ne voulait plus faire suivre mon courrier […]
Elle ajoute ainsi à une réputation qui est mauvaise car on prête beaucoup aux gens invisibles. J’ai été heureux de votre mot et j’aimerais vous prouver un jour que je ne suis pas ni l’homme qu’on dit ni l’homme que vous dites.
[…]
Giraudoux a été mon seul maître- inconnu et invisible – et ma tendresse pour lui ne s’éteindra jamais. Ondine est une tendre plaie pour moi qui voudrait tant l’avoir écrite ou – moins prétentieusement – rencontrée avant lui….
Moi je mène une vie difficile et malheureuse avec Monelle malade que je ne puis guère quitter. Permettez-moi d’envoyer ma fille à ma place. Elle est devenue un petit être étonnant d’intelligence et un des plus grands critiques de théâtre que je connaisse.
Je voudrais lui ménager cette rencontre avec Ondine le premier soir qui est le seul jour de théâtre.
Merci et à bientôt dès que j’aurai un jour de permission.
A vous. Jean Anouilh.
Extrait de Dix ans avec Louis Jouvet de Léo Lapara , p.221
Le dimanche 11 décembre 1949, Jouvet apprendra la mort de Charles Dullin. Puisqu’il a rencontré hier Anouilh à l’hôpital Saint-Antoine ne se doit-il pas de lui communiquer la nouvelle? Au téléphone après quelques évocations de souvenirs et de regrets sur celui qui vient de disparaître, la conversation s’installe. Et Anouilh saisit cette opportunité : il propose à Jouvet de venir lui lire une pièce. Mais seul à seul.Rendez-vous est pris. La lecture se déroulera dans le bureau de Jouvet, au théâtre de l’Athénée le mardi 20 décembre à l’issue de la représentation de Knock.
Ce même jour Anouilh sans doute inquiet, peu rassuré quand aux résultats de cette confrontation, écrit à Jouvet une lettre pleine de réserve et de prudence :
Mon cher Jouvet,
Je pense que j’ai dû vous paraître un peu ignoble de prendre ce rendez-vous pour vous lire une pièce alors que vous veniez de m’annoncer la mort du pauvre petit vieux Charles.
[…]
Pour vous mettre à l’aise : c’est une pièce que vous ne pourrez vraisemblablement pas jouer et que moi je ne veux pas faire jouer avant longtemps. J’en ferai sans doute deux avant celle-là.
Mais je serai heureux de vous lire celle-là et d’autres – et la vie si misérable qu’on la mène, est trop bonne pour perdre une joie, un contact, une amitié.
A vous.
Jean Anouilh
P. 224
Oui mais voilà! Jouvet n’a pas aimé la pièce – c’est le moins que l’on puisse dire – …… dont Anouilh lui a fait la lecture.
Jouvet en parlant du rôle de la mère dans la pièce. (Confidences qu’il livrera à Léo Lapara à son retour à quatre heures du matin)
« Je pense aux mots atroces dont elle se sert. Je l’entends lui cracher à la figure avec volupté toutes sortes d’abjectes précisions : » Pour moi tu es ceci, tu es cela …tu es ma boîte à ordures… » Et je me demande pendant combien de temps encore le public supportera ces paroxysmes dans le déballage d’un certain linge sale… »
Jouvet lui ne supportera pas.
Et c’est cela qu’Anouilh ni ne digérera, ni n’oubliera.
Jamais.
[…] il entretiendra une haine inextinguible dont il ne cessera dès lors de poursuivre Jouvet jusque dans sa tombe…
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