« Ce coco là » – Jules Romains [Mexico, 1944]
Extrait Dix ans avec Louis Jouvet Léo Lapara
Il faut rappeler que la pièce de Jules Romains a été joué de nombreuses fois et renflouait les caisses de la troupe. Ceci est sans doute un coup d’humeur, les deux hommes s’appréciaient. A la mort de Jouvet Jules Romain pour Cinémonde dira. « Pendant plus d’un quart de siècle, et au total quelques milliers de soirées, la voix et le masque de Jouvet ont prêté leur éloquence, leur puissance de pénétration, à des phrases que j’avais écrites.

Jules Romain et Louis Jouvet
C’est là une dette énorme que j’ai envers lui. »
D’autres lettres et témoignages sur leur relation seront ajoutés dans la rubrique correspondance.
Léo Lapara…
[…] Donc, comme aimera à le rappeler Jouvet, nous subsisterons grâce, en partie, à la charité publique.
C’est pourquoi il l’aura « sec » quand le soir de l’unique représentation de M. Le Trouhadec saisi par la débauche, M. Jules Romains, au courant de nos difficultés, se substituera à la Société des auteurs […] et ira à l’entracte percevoir, lui à l’abri du besoin, dix pour cent de la recette brute […]. Pour Knock déjà, il avait agi de même. Jouvet avait « tiqué ». Mais enfin nous n’avions pas eu à « remonter » le spectacle. Il n’y avait que demi-mal. De la part de Jules Romains dont il connaissait la ladrerie, cela n’avait pas de quoi le surprendre. Mais qu’il lui refasse le coup avec Le Trouhadec, alors qu’il lui avait expliqué, en long et en large, que son montage et celui d’Electre viendraient à bout de nos ressources, ça, il ne pouvait le digérer!
Ce n’est pas de sitôt qu’il le lui pardonnera.
[…] Nous voudrions que cesse cette guerre froide. Timidement, nous nous hasardons:
– Patron, il nous semble que vous devriez…
– Ah! vous, fichez-moi la paix, compris? Comment? Nous nous saignons aux quatre veines pour remonter brillamment, pour une seule représentation, Le Trouhadec! Ça boulotte deux mois de défraiements pour une unique recette qui n’en couvre guère plus d’une semaine! Et vous voudriez que je sois aimable avec lui? Dites, dites, dites! Qu’il crève! Oui, parfaitement! Radin comme lui y en a pas deux! Tiens! Vous voulez que je vous raconte?. Quand j’ai monté Donogoo-Tonka au Pigalle », je jouais amphitryon 38 à la « Comédie ». Aussitôt la répétition de Donogoo terminée, je devais me grouillais pour gagner l’avenue Montaigne. Nous sortions presque toujours en même temps et descendions, tout en échangeant nos impressions, jusqu’à la Trinité. Là je prenais un taxi :
– Faisons route ensemble, me disait-il, la bouche enfarinée. Je vais plus loin que

Jules Romains
vous, je vous déposerai.
– Va te faire voir! Cinquante fois, il m’a fait le coup! En arrivant au rond-point, ça ne ratait pas! Toujours le même numéro de cirque :
– Tout bien réfléchi, je descend ici. Je poursuivrai à pied. Cela me donnera un peu d’exercice.
– Pas une seule fois, vous m’entendez , pas une seule fois, il ne serait venu avec moi jusqu’au théâtre. De peur d’avoir à régler le compteur. […]
Ah non il ne faut pas me parler de ce coco là! Son égoïsme me fait mal au ventre. Et son insensibilité à tout ce qui l’entoure, quand il n’est pas directement concerné! […] Mais pour ce qui est tendresse, générosité, poésie, vous repasserez! Pas poète pour un rond, que j’vous dis! Quand on a la chance de s’appeler Farigoule, quand on a un nom qui fleure bon le thym et le serpolet, on ne le change pas contre celui de Romains! Toujours sa soif de grandeur et de domination. S’il avait osé, il se serait appelé César! Soyez sûrs qu’il y a pensé. Ce qui a dû le retenir, c’est qu’avec Jules, ça risquait de faire un peu voyant. Et de faire rire. Sinon, croyez-moi….[…]
Léo Lapara -Dix ans avec Louis Jouvet p.122-124
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