SOLUTO
Peintures-Dessins
Qu’on ne s’y trompe pas : c’est la peinture qui dit qui nous sommes. C’est elle qui nous fait. Sûrement pas le contraire.
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Avec Michel Simon, Louis Jouvet, Victor Francen, Madeleine Ozeray
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https://moncinemaamoi.blog/2018/09/16/la-fin-du-jour-julien-duvivier-1939/
Le générique, déjà, serre le coeur : des vieillards assis dans un grand couloir, comme dans l’antichambre de la mort. Des vieux pas comme les autres : des comédiens nécessiteux et oubliés. Avec Poil de Carotte, c’est sans doute le film le plus personnel de Julien Duvivier : dans sa jeunesse, il avait débuté sur les planches et éprouvé la déconvenue — un humiliant trou de mémoire en scène, entre autres. Cabrissade, le cabot, la doublure qui n’est jamais entrée dans la lumière, ce représentant des « petits, des sans-grades », c’est un peu lui.
Dans le rôle, Michel Simon est absolument bouleversant. Face à lui, Saint-Clair (Louis Jouvet), narcissique et érotomane, confond le théâtre et la vie, jusqu’à se persuader qu’une jeune première peut encore mourir d’amour pour lui. Son double inversé, Marny le lucide, l’amer (Victor Francen), l’acteur au grand talent reconnu par ses pairs, souffre de rester inconnu du public. A travers ces trois figures, mais aussi chaque visage de pensionnaire de l’asile en faillite, Julien Duvivier, qui passait pourtant pour un misanthrope, célèbre la force du collectif face à la cruauté du destin.
Le cinéaste rend l’hommage le plus poignant qui soit aux saltimbanques. Ces êtres à part qui, comme le dit Michel Simon dans une superbe supplique, méritent tout de même quelques égards pour nous avoir, le temps d’un soir, d’une représentation, fait oublier le tragique de nos propres vies. [Guillemette Odicino – Télérama (octobre 2016)]
Victor Francen, Louis Jouvet, Michel Simon
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A l’occasion du 110 ème anniversaire de la naissance de Madeleine Ozeray qui accompagna Louis Jouvet durant de longues années, rendons hommage à cette comédienne sans doute plus oubliée en France qu’en Belgique. Cet article rend compte de leur compagnonnage au théâtre. Avec Louis Jouvet au cinéma, elle aura tourné trois films.
Pour sa biographie davantage détaillée voir le lien ci-dessous.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Madeleine_Ozeray
Actrice Belge, née Magdeleine Marie Catherine Elisabeth Ozeray, le 13 septembre 1908, à Bouillon (Belgique)est décédée le 28 mars 1989, à Paris (15ème).
Fille cadette de Jules Ozeray, propriétaire terrien, député et anticlérical notoire, Madeleine quitte à quinze ans sa ville natale des Ardennes belges pour Bruxelles où elle termine ses études. Elle s’inscrit parallèlement au Conservatoire d’art dramatique dont elle sort avec un premier prix de comédie. Elle débute au Théâtre Royal du Parc avant de rejoindre Raymond Rouleau qui dirige la jeune Compagnie du Théâtre du Marais.
En 1931, la troupe se produit au Théâtre de l’Oeuvre, à Paris, et y récolte un très vif succès avec «Le mal de la jeunesse» de Ferdinand Brückner, Madeleine incarnant la jeune péripatéticienne Lucy. Mais, pour elle, cet événement marque surtout sa rencontre avec Louis Jouvet, avec lequel elle ne tarde pas à entretenir une liaison sentimentale aussi passionnée que mouvementée.
1934, le 14 novembre : Tessa, La Nymphe au coeur fidèle
La création, de Tessa de Margaret Kennedy et Basi Dean, adaptée par Jean Giraudoux, marque le début véritable de l’association des talents de Jouvet et de Madeleine Ozeray, et de l’influence que celle-ci peut exercer. Elle dit avoir suggéré à Jouvet le sujet et l’avoir convaincu de jouer Lewis, premier rôle, séducteur qu’il ne croyait pas pouvoir lui convenir ; Giroudoux a écrit son adaptation en songeant à elle. « Premier mélodrame poétique de notre temps » écrit Gérard Bauer. La musique – la chanson de Tessa – est composée par Maurice Jaubert ; René Moulaert a dessiné les décors.
Paul Louis-Mignon, Louis Jouvet qui êtes-vous? p.238
1935 : La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, mise en scène Louis Jouvet
Son attention (Jouvet) est requise cependant par la nouvelle pièce de Jean Giraudoux. Elle a été intitulée Préludes des préludes, puis Préface à l’Iliade. Le 13 septembre, quand Giraudoux en donne lecture aux comédiens, elle a pour titre La guerre de Troie n’aura pas lieu .
Il voit un tragédien dans le rôle d’Hector, pense à Charles Boyer à Henri Rollan. L’urgence, un avis de Madeleine Ozeray l’entraînent à s’y essayer, alors qu’il se destinait Priam […] Hélène revient naturellement à Madeleine Ozeray – Giraudoux l’a conçue pour elle.
Paul Louis-Mignon, Louis Jouvet qui êtes-vous? p.238
1936 : L’École des femmes de Molière, mise en scène Louis Jouvet, Théâtre de l’Athénée
C’est une singulière histoire qui lie Jouvet à L’École des femmes. Devant le jury du concours d’entrée au Conservatoire, où il échoua à trois reprises, il avait présenté chaque fois des extraits de cette pièce. Son projet de la mettre en scène commence à prendre forme lorsqu’il rencontre Madeleine Ozeray, dont il pense qu’elle sera parfaite dans ce rôle. C’est en effet avec elle qu’il crée la pièce, en 1936, en interprétant Arnolphe. L’enjeu est si profond, pour Jouvet, que le soir de la première il est paralysé par le trac et ne peut entrer en scène. Mais la représentation est un triomphe, et il ne cessera plus de revenir à cette pièce qu’il jouera pendant quinze ans.
Extrait article Marion Chénetier-Alev
1937 : Électre de Jean Giraudoux, mise en scène Louis Jouvet
avec Louis Jouvet (le mendiant), Renée Devillers (Electre), Madeleine Ozeray (Agathe)
Électre est une pièce de théâtre en deux actes de Jean Giraudoux, représentée pour la première fois le 13 mai 1937 au Théâtre de l’Athénée dans une mise en scène de Louis Jouvet. Agamemnon, Le Roi des Rois, a sacrifié sa fille Iphigénie aux dieux. Son épouse, Clytemnestre, aidée de son amant, Egisthe, l’assassine à son retour de la Guerre de Troie. Oreste, le fils est banni. Reste Électre, la seconde fille : « Elle ne fait rien, ne dit rien. Mais elle est là ». Aussi Egisthe veut-il la marier au jardinier du palais afin de détourner sur « la famille des Théocathoclès tout ce qui risque de jeter quelque jour un lustre fâcheux sur la famille des Atrides ». Sur ce grand mythe de l’Antiquité, Jean Giraudoux a écrit sans doute sa meilleure pièce. Electre possède une force tragique surprenante, sans jamais perdre cet esprit étincelant, cet humour qui ont fait de Jean Giraudoux
1937 : L’Impromptu de Paris de Jean Giraudoux, mise en scène Louis Jouvet
S’inspirant de L’Impromptu de Versailles au cours duquel l’auteur Molière se livrait au public, Jean Giraudoux, blessé par les médiocres critiques d’Électre, écrivit, au cours de l’été 1937, une sorte d’improvisation intitulée : L’Impromptu de Paris. Cette œuvre de circonstance fut affichée en première partie d’une reprise de La Guerre de Troie n’aura pas lieu, le 4 décembre 1937. Alors que les comédiens étaient en scène, prêts à répéter, arrivait un spectateur contestataire. L’auteur, par la voix de Jouvet répondait alors à son adversaire en défendant son théâtre.
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Le 3 décembre 1937, le rideau se lève sur la scène du théâtre de l’Athénée. Sur une note accordée avec « l’Impromptu de Versailles », le fameux petit acte de Molière , Jean Giraudoux nous parle de Théâtre.
Maurice Castel, la petite Véra Pharès, Raymone, Madeleine Ozeray, Auguste Boverio, Marie-Hélène Dasté et Romain Bouquet-Robineau
L »ironie est de mise, l’humour de rigueur. Mais que l’on ne s’y trompe pas.
Cette petite pièce, en un acte, n’est pas si légère qu’elle y paraît.
« Nul jongleur n’égale en virtuosité Jean Giraudoux lorsqu’il lance et fait miroiter des idées. C’est ainsi qu’il les manie sur la critique, l’art, le public, les comédiens… »
Mais la malice de l’auteur ne blesse personne.
Le public applaudit. Les critiques apprécient.
Ce petit morceau est comme une chronique verbale, un entretien entre l’auteur, les comédiens et le public sur les choses du théâtre.
Il n’y a pas ici d’interprètes puisque ce sont les comédiens qui jouent leur propre rôle. Ils s’appellent Renoir, Boverio, Jouvet, Raymone, Ozeray, Dasté, la petite Vera…Un seul rôle est fictif, celui de Robineau.
Extrait de Gil Babelio pour la critique complète voir le lien ci_dessous
https://www.babelio.com/livres/Giraudoux-LImpromptu-de-Paris/575551
1938 : Le Corsaire de Marcel Achard, mise en scène Louis Jouvet, Théâtre de l’Athénée
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1939 : Ondine de Jean Giraudoux, mise en scène Louis Jouvet, Théâtre de l’Athénée
Madeleine Ozeray Ondine
Adaptation de Undine, récit poétique de l’auteur allemand Friedrich de la Motte-Fouqué, cette pièce a été écrite à la demande de Louis Jouvet qui offre le rôle titre à la jeune comédienne Madeleine Ozeray dont il est tombé amoureux. C’est une féerie, avec de multiples êtres fantastiques, mais surtout une très belle parabole sur le couple et l’amour.
La pièce est une féérie, avec de multiples êtres fantastiques. Pavel Tchelitchew décorateur des ballets russes a conçu les maquettes des trois actes et les costumes. 33 comédiens interprètent les 46 rôles. Le succès fut triomphal. Alors que Jean Giraudoux se trouvait au Consulat de France à New-York, Louis Jouvet lui envoya un télégramme ainsi conçu : « Ce soir record. Dépassons vingt-neuf mille francs (stop) moyenne journalière vingt-huit (stop) Ondine et Hans vous embrassent »
Les critiques furent excellentes comme en témoignent les articles de presse conservés dans le dossier consultable sur Gallica.
« La féérie s’est éteinte et nous sommes encore dans le royaume des fées », Paris Soir le 5 mai 1939
extraits Libretheatre.
L’article complet
http://libretheatre.fr/ondine-de-jean-giraudoux/
Madeleine Ozeray tient la vedette à l’écran dans les années 1930. Elle est la jeune reine Victoria dans La Guerre des valses (1932) de Ludwig Berger, puis Mariette dans Knock ou le Triomphe de la médecine (1932) de Louis Jouvet et Roger Goupillières. Sa spontanéité, son teint pâle, ses cheveux blonds et vaporeux et sa courte taille se prêtent à un certain nombre de mélodrames traditionnels. Quelques exceptions : elle est Julia dans Liliom (1934) de Fritz Lang, Sonia dans la version de Pierre Chenal de Crime et Châtiment et figure dans un drame de Julien Duvivier, La Fin du jour (1938). Sa carrière cinématographique est interrompue par la guerre et connaît une longue éclipse. Plus agée, elle est encore touchante dans des rôles de composition : La Race des seigneurs (1974) de Pierre Granier-Deferre, Le Vieux Fusil (1975) de Robert Enrico.
1932 : Knock de Jules Romain , Madeleine Ozeray dans rôle de Mariette souillon
Au théâtre Louis Jouvet se révèle dans cette pièce: il donnera plus de 1.500 représentations devant un public totalement conquis. Devant ce triomphe théâtral, le comédien décide en 1933 de transposer la pièce au cinéma. Elle est adaptée par Roger Goupillères avec Louis Jouvet dans le rôle-titre.
Knock 1933 Jouvet et Madeleine Ozeray
Extrait « A toujours Monsieur Jouvet » de Madeleine Ozeray p.55
Je tournais le souillon. il s’appelait Mariette. Ce n’était qu’une silhouette, mais je m’amusais comme une folle. Jouvet me maquilla lui-même, mâchura mon visage.
« T’es pas encore assez moche », me disait-il.
Il me fit manger près d’un kilo de poires en répétant, en tournant ; le jus coulait le long de mon bras sur ma robe cretonne en lambeaux. Je m’essuyais avec ma jube, j’en mettais partout, je collais, c’était affreux! Je devait aussi me moucher dans ma main. Jouvet riait de plus en plus ravi :
» T’es vraiment dégueulasse! C’est parfait… »
1937 : Ramuntcho (film, 1937) de René Barberis :
Louis Jouvet – Chef de la contrebande
D’après le roman de Pierre Loti, tourné en 1937 à Sare.
Distribution: Louis Jouvet dit Itchoua, le chef de la contrebande ; Madeleine Ozeray, Gracieuse Detcharry, la fille de Dolorès ; Jean Brochard dit Bourlinguet, le douanier ; Paul Cambo, Ramuntcho
À Sare (Etchezar pour Loti), le contrebandier Ramuntcho est fiancé avec Gracieuse
Madeleine Ozeray – Gracieuse
dont la mère s’oppose
formellement au mariage. Ramuntcho part faire son service militaire en Indochine et, quand il revient, découvre que Gracieuse est entrée au couvent. Une ultime rencontre entre les jeunes gens décide de leur avenir. Gracieuse est relevée de ses vœux et les deux amoureux se marient.
1938 : La Fin du jour de Julien Duvivier : Jeannette
Réalisateur : Julien Duvivier
Acteurs : Michel Simon, Louis Jouvet, Victor Francen, Madeleine Ozeray, Alexandre Arquillière
L’argument : L’abbaye de Saint-Jean-la-Rivière menace de fermer ses portes. Ce qui serait une véritable catastrophe pour ses pensionnaires, tous de vieux comédiens sans ressource. Saint-Clair, acteur autrefois adulé et grand séducteur de femmes, vient justement d’y arriver et y retrouve Marny, grand rival dont il avait jadis séduit la femme, et Cabrissade, artiste de second ordre.
Extrait
A l’occasion des 100 ans de la naissance de M. Ozeray (1908-1989), Dominique Zachary retrace la vie et la carrière de l’actrice belge, originaire de la vallée de la Semois, compagne de Louis Jouvet, qui fut l’une des actrices les plus célébrées de la scène française dans les années 1930
4éme de couverture
Née à Bouillon le 13 septembre, en Belgique, au bord de la Semois mystérieuse, Madeleine Ozeray est la comédienne belge qui connut le plus de succès en France avant la Seconde Guerre mondiale. Sa vie fut un roman. Jolie, franche, ingénue, la petite Ozeray fait la une des magazines de cinéma dès 1932. Elle devient la maîtresse puis la compagne du grand acteur et metteur en scène Louis Jouvet, de vingt ans son aîné. À ses côtés, elle triomphe dans les créations de Jean Giraudoux au théâtre de l’Athénée : La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Électre et surtout Ondine, le spectacle qui pulvérise les records de recettes à Paris en 1939. «Madeleine Ozeray est la poésie même», s’enflamme Jean Cocteau. Mais la guerre de 1940 casse brutalement ce beau rêve. Jouvet et Ozeray se déchirent lors d’une tournée en Amérique.
Le département culture de la Province de Luxembourg vient de présenter un nouvel ouvrage « Madeleine Ozeray
– l’Ombre de Louis Jouvet ». Madeleine Ozeray est cette comédienne Bouillonnaise, née en 1908, qui fut diplômée du conservatoire d’art dramatique, et bien connue à Bruxelles et à Paris. C’est en 1931 qu’elle rencontre Louis Jouvet, avec qui elle entretiendra une liaison.
Sous la plume de Jacques Herbet et les illustrations de Palix, il s’agit ici d’un véritable voyage dans le temps qui retrace l’histoire de Madeleine Ozeray.
C’est en fait une adaptation d’un premier livre qui a déjà vu le jour en 2008 : la biographie de la Bouillonnaise, écrite par le journaliste Dominique Zachary qui a fait d’énormes recherches…
préface de Marcel Aymé, Buchet-Chastel, 1966 ;
réédition 1987
(ISBN 2702015190 et 978-2702015193)
Avec un art simple et subtil qui fait penser au Nerval de Sylvie », écrit Marcel Aymé dans sa préface, celle qui sera toujours « Ondine » évoque ses souvenirs et surt
out le souvenir de l’étrange et fascinant Louis Jouvet, pour lequel elle a été Tessa, Ondine, Agnès. Dans ce récit qui se lit « presque comme un conte », remarque Marcel Aymé, elle en trace un portrait pittoresque, énigmatique, inoubliable. Il faut lire ce livre souriant, poétique et grave.
Reblog d’un article très complet et remarquable de « Mon cinéma à moi » à propos de ce film.
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HÔTEL DU NORD – Marcel Carné (1938) — mon cinéma à moi
https://videopress.com/embed/DONClCwP?hd=0&autoPlay=0&permalink=0&loop=0
« Dans un hôtel situé sur le bord du Canal Saint-Martin à Paris, on célèbre une communion. Les propriétaires et clients de l’établissement fêtent l’événement autour d’un repas chaleureux. Un couple de jeunes amoureux (Pierre et Renée) s’installe dans une des chambres. Au cours de la nuit, un coup de feu retentit… » C’est ainsi que démarre l’intrigue d’Hôtel du Nord, merveilleux film d’ambiance dont le personnage principal est bien entendu cet hôtel du canal parisien. Sur un scénario de Jean Aurenche et des dialogues de Henri Jeanson, Marcel Carné décrit avec autant de minutie que de passion les hommes et les femmes qui logent dans l’hôtel ou ses environs. Au milieu des décors imaginés par Trauner, on croise un patron paternaliste, un policier raciste, de jeunes amoureux naïfs, un éclusier cocu, et un mac accompagné de sa protégée.
ELOGE DU DÉSORDRE PAR LOUIS JOUVET
Texte extrait de Où va le Théâtre ? 1946
Au terme de notre longue tournée, de cette odyssée dramatique en Amérique latine qui nous avait permis de jouer librement Molière, Romains, Claudel et Giraudoux, Pierre Renoir m’attendait sur le quai de la gare. Quatre ans d’absence, une longue abstinence d’amitié nous rendaient l’un à l’autre, tout gonflés de promesses. À cœur joie, nous nous sommes saoulés de confidences et, ce faisant, nous avons échangé des histoires. Une des plus piquantes que me raconta Renoir , une des plus touchantes par ses évocations reste pour moi cette réunion où avaient été convoqués Dullin, Baty et lui-même, par l’inquiète sollicitude de la Staffelpropaganda et je ne sais quelle autre organisation de « Kultur überalles ».
Louis Jouvet
« Messieurs, leur dit le préposé à la civilisation artistique de la future grande Europe, il importe que nous sachions quelles sont les tendances, quelle est la ligne de conduite du théâtre français… ». La voix était rauque, le ton impérieux. « Quel est précisément le sens de vos préoccupations ?… ». Dans le silence, la voix s’infléchit intelligemment : « Où vont vos recherches professionnelles ?… ».
Un certain effarement flottait dans l’air. Mais, à cet instant, l’inquiétude logée au cœur de chacun s’apaisa. « Un sourire effleura nos lèvres », me dit Renoir. « Nous nous sommes hélas regardés. Et puis, à tour de rôle, nous avons paisiblement répondu à ces messieurs qu’il n’y avait dans l’art dramatique français rien de concerté, de volontaire, de théorique…, que l’art dramatique, le théâtre, fleur et fruit des sentiments, des idées des auteurs et des spectateurs français, s’épanouissait, vivait dans notre pays sans aucune préoccupation de tendance ou de direction, dans un désordre nécessaire ici à ce commerce et à cet art. »
Un désordre ! Cette réponse déçut. Cette réponse désola. Elle outrepassait la zone de pitié accordée par ces messieurs. Était-ce possible? Cette absence de « ligne », cette confession de désordre, ce chaos avoué, pour des gens qui fabriquaient synthétiquement la Force et la Joie, était accablant. Bras ballants, bouches bées, impuissants devant tant d’insouciance, tant d’indignité, les organisateurs de la grande Europe congédièrent avec un geste désespéré les représentants de l’art dramatique français.
Pouvaient ils comprendre ?
Le théâtre, spécialement le théâtre français, vit dans le désordre : c’est sa condition d’existence. La grandeur du théâtre est fondée sur un désordre organique, nécessaire, constant : le désordre explique et démontre un art dramatique prospère. Nous savons, nous autres comédiens, que jouer la comédie est proprement une destruction de soi, une démolition, c’est un désordre obligé, l’impossibilité d’une vie intérieure.
L’œuvre du poète aussi est un désordre. Entre son écriture et son jeu, tissu de sensations et de sentiments étroitement entrelacés, la pièce la plus vivante avoue une contradiction permanente, un désordre essentiel. Sa vie et sa fécondité, à travers les époques, ne sont que la constante exploitation de cette confusion. C’est un désarroi, un tumulte intérieurs qui font naître chez le spectateur la curiosité qui le mène aux portes d’un théâtre. L’effervescence, le trouble qui préside à son installation dans la salle, nous savons qu’il ne s’apaisera que par l’imbroglio d’une intrigue, l’incohérence d’une action offerte dans la discorde des personnages. Le succès fait à l’œuvre représentée ne sera qu’une vaste conflagration de polémiques et de conflits. Ce qu’on appelle divertissement ou évasion n’est qu’un égarement général. L’ordre ici vient d’un désordre, nous le savons.
Aucune des manifestations du théâtre n’obéit à une « ligne de conduite ». Aucun des gestes ou des rires du vrai théâtre ne procède d’une « tendance ». Il n’y a de recherches et de préoccupations que dans le vague, l’absent, l’indéterminé : dans le chaos. Les extraordinaires réussites de notre théâtre français ne furent obtenues, ne se sont confirmées que dans une persistante collision des sentiments et des idées. Un ordre théâtral ne s’institue que par un long désordre.
Louis Jouvet
Texte extrait de Où va le Théâtre ?
Une enquête publiée au printemps 1946 dans la célèbre revue théâtrale L’intermède .
Il existe à trente kilomètres de Nîmes un étrange cimetière…Sur les tombes, on peut y lire des noms aux consonances bizarres : des Gonzalès, des Ascinion, des Vargas… Sous ces dalles reposent des cadavres fantômes. Ce cimetière est le dernier vestige d’un tournage qui eut lieu à cet endroit en 1950 et 1951. Un tournage […]
via Henri-Georges Clouzot — mon cinéma à moi
Reblog d’un article très complet à propos de l’œuvre de Henri-Georges Clouzot de l’excellent blog « Mon cinéma a moi ». Films avec Louis Jouvet : « Quai des orfèvres », « Miquette et sa mère », Sketch » Le Retour de Jean » dans « Retour à la vie »
A l’occasion de la 7ème exposition de la Fondation Pierre Bergé, il a été abordé une facette moins connue de l’œuvre d’Yves Saint Laurent, en présentant au public les créations que le couturier a réalisées pour des mises en scènes et des interprètes mythiques.
La fascination d’Yves Saint Laurent pour le monde qui s’allume aux feux de la rampe fut précoce, soudaine et intense.
Cette passion naquit vraiment lorsqu’à treize ans il vit, grâce à une tournée à Oran, une représentation de l’Ecole des femmes, mise en scène par Louis Jouvet, dans des décors et des costumes de Christian Bérard. Ce jour-là, le rêve devint réalité. Il reçut une leçon, il l’a écoutée et il l’a comprise.
Louis Jouvet–Madeleine-Ozeray-l’Ecole-des-femmes – costumes Christian Bérard
Cette grande leçon que Jouvet et Bérard lui ont donnée sans le savoir, c’est celle du Théâtre tout entier et c’est celle de l’Art.
On le sait, rien n’est plus faux que le vrai, ni plus trompeur, mais en revanche si le faux sait se charger des mystères de la création, s’il n’essaie pas d’imiter servilement la vérité mais seulement de la suggérer, alors il devient plus vrai que vrai.
Sur une scène un morceau de tissu bon marché devient, par magie, le plus rare des brocarts, le plus somptueux des velours. Un rideau rouge et une simple cordelière d’or évoquent davantage que des décors coûteux et des trompe-l’oeil savants.
Yves Saint Laurent a aussi retenu qu’un costume servait à créer un personnage et que la psychologie était plus importante que l’esthétique
Sa rigueur, son refus du hasard l’ont obligé à oublier qu’il était un couturier car il a su depuis toujours qu’il s’agissait de deux métiers différents.
Louis Jouvet – l’Ecole des femmes – Costumes Christian Bérard
Ce n’est pas étonnant que cet homme discret, modeste, replié sur lui-même, ait su dessiner pour le music-hall, le cinéma, le ballet, le théâtre, les costumes les plus brillants, les plus extravagants et les plus éclatants.
Et quand il se penche sur son passé, je sais qu’il pense à cette représentation de l’Ecole des femmes où son destin se décida ; et lorsqu’il dessina, au Théâtre de l’Athénée, pour Edwige Feuillère et Jean Marais, les décors et les costumes de Cher menteur, on peut être sûr qu’à travers l’inoubliable couple de l’Aigle à deux têtes ce sont les mythes les plus importants de sa jeunesse qui vinrent à sa rencontre : Cocteau, Jouvet, Bérard.
Dans ces chimères, il découvrit une réalité. Un monde foisonnant de vie se révélait à lui dans ses moments les plus magiques.
Cet amour du merveilleux ne devait jamais l’abandonner.
Et depuis, quelque chose en Yves Saint Laurent n’a pas cessé de prendre vie aux feux de la rampe.
Au Théâtre de l’ Athénée Louis Jouvet — décorateur : Yves Saint Laurent
Yves Saint Laurent trop jeune pour créer des costumes pour les pièces montées du vivant de Jouvet, créera néanmoins à son tour , trente-deux ans après Christian Bérard, les costumes de L’Aigle à deux têtes, le drame romantique de Jean Cocteau, repris au théâtre de l’Athénée-Louis-Jouvet.
Son goût de l’orientalisme somptueux a pu ainsi se donner libre cours. […] Les autres acteurs, dont Stanislas, l’anarchiste, sont résolument modernes dans leurs costumes de « cadres » de l’entre-deux guerres. Enfin, pour son premier décor de théâtre, Yves Saint Laurent a joué tour à tour de l’art le plus baroque – pour la chambre de la reine – et des lignes les plus stylisées pour la bibliothèque du second acte.
Louis Jouvet et sa compagnie dramatique dans :
« L’École des femmes » de Molière, comédie en 5 actes et en vers.
Enregistrement audio réalisé en public au Colonial Theatre, Boston,Massasuchetts, États-Unis, le 16 mars 1951.
Personnages et interprètes
Arnolphe…………………………………….Louis JOUVET
(autrement M. de la Souche)
Agnès………………………………………..Dominique BLANCHAR
(jeune fille innocente
élevée par Arnolphe)
Horace………………………………………Jean RICHARD
(amant d’Agnès)
Georgette…………………………………..Monique MÉLINARD
(paysanne, servante d’Arnolphe)
Chrysalde…………………………………..Léo LAPARA
(ami d’Arnolphe)
Oronte……………………………………….Pierre RENOIR
(père d’Horace et grand ami d’Arnolphe)
Le notaire…………………………………..Michel ETCHEVERRY
Reblog d’un article très complet à propos de ce film d’Henri Decoin avec Louis Jouvet. Très bon blog « Mon cinéma a moi ».
L’histoire : Tandis qu’un homme est assassiné dans un tunnel, l’inspecteur Carrel (Louis Jouvet) enquête sur le meurtre d’un ancien avocat. Le cadavre du tunnel est le sosie de Carrel, qui décide de prendre sa place pour trouver le coupable. Le mort s’appelle Vidauban. Dans l’appartement de Vidauban, Carrel surprend un de ses complices, qui lui apprend qu’une dénommée Florence (Gisèle Casadesus) devait partir avec Vidauban à l’étranger. Vidauban est l’ami de Lucienne (Madeleine Robinson ), qui tient une maison de haute couture. Carrel essaie à la fois de séduire Lucienne et de la faire parler. Elle le démasque. Carrel lui apprend que Vidauban avait organisé le cambriolage de sa maison de couture, puis retrouve Florence. Il comprend que c’est Vidauban qui a tué l’ancien avocat, avant d’être tué par Lucienne. Carrel fait comprendre à Lucienne qu’il sait qu’elle a tué Vidauban, mais qu’il fera tout pour…
Voir l’article original 690 mots de plus
Louis Jouvet
Louis Jouvet était bègue! Cette affirmation circule abondamment sur Internet ; recopiée sans citer des sources fiables à l’appui comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Les témoins de l’époque ne sont plus là pour nous apporter des réponses et les témoignages directs du vivant de Louis Jouvet sont rares. Néanmoins, ils existent des témoins et des documents qui discréditent ou modèrent cette affirmation; travail de la diction comme tous les comédiens, troubles du langage dans sa jeunesse, problèmes de santé….
Ce n’est sans doute pas primordial de se pencher sur ces informations qui participent à sa légende mais néanmoins, nuancer ces déclarations me semble nécessaire.
Eric Jouvet, son petit-fils indique : La question de savoir si mon grand-père était effectivement bègue m’a interpellé, dans notre famille personne ne l’a jamais mentionné ou confirmé et ne pouvant plus obtenir de témoignages directs, j’en suis réduit à ceux qui ont été rapportés mais le plus souvent indirectement.
En reprenant les différents témoignages intéressants, que j’ai pu retrouver il semblerait que Louis Jouvet ait eu effectivement des difficultés d’élocutions dans sa jeunesse, et qu’il a ensuite rectifiées, mais éloignées d’un bégaiement dans le sens que l’ on attache à ce mot.
Bégaiement
Pour les non spécialistes, bégayer c’est répéter plusieurs fois la même syllabe sans arriver à terminer ses phrases. Actuellement mais cela devrait être modifié, les phoniatres francophones classent (ou ont classé) la gravité d’un bégaiement selon quatre degrés de sévérité mais retiennent néanmoins le terme générique de bégaiement.
Quelques célébrités signalées comme étant « bègue » : Noé, Démosthène, Molière, Napoléon 1er, George VI, Winston Churchill , Albert Einstein, François Bayrou, Nicolas Sarkozy, François Hollande, Marilyn Monroe, etc..
Les seules citations au sujet de son bégaiement sans argument, ni document à l’appui, ne seront pas mentionnées ici; comme par exemple celle citée dans Wikipédia qui fera l’objet d’une demande de controverse de neutralité comme a été faite la demande de correction de certains paragraphes à propos de la tournée en Amérique latine.
François Hollande ou le mythe du bègue (Extrait)
» Une autre profession paradoxale fait aussi appel aux « bègues d’exception », c’est celle d’acteur. Le plus grand sans doute au dire de ses disciples, Louis Jouvet fut bègue. Il masquera ce handicap par une diction volontairement syncopée à l’origine de son « style inimitable » et de sa réussite. Il abusait en effet du mode répétitif : « Moi j’ai dit « bizarre, bizarre » ? Comme c’est étrange… […] Moi, j’ai dit « bizarre », comme c’est bizarre. » Ou le fameux : « atmosphère, atmosphère » «
Vers l’article complet
http://www.lesinfluences.fr/Francois-Hollande-ou-le-mythe-du.html
Note : Répéter un mot serait-t’il bégayer ou seulement vouloir produire un effet particulier (comique de répétition) comme dans le film « Hôtel du nord » de Marcel Carné, dialogues d’Henri Jeanson mais c’est Arletty qui prononce cette dernière réplique ! et ce sont les dialogues de Jacques Prévert dans « Drôle de drame » également de Marcel Carné! Ce n’est pas Jouvet qui a écrit les dialogues!
L’information la plus crédible semble-t-il, provient de Jean-Marc Loubier qui indique dans sa biographie Jean-Marc Loubier, Louis Jouvet, Le Patron, Edition Ramsay juin 2001 (page 20). :
« Le « petit-Louis », est affublé d’un léger défaut. […] Il bute souvent sur les mots. Il chuinte. » […] Suite au déménagement de ses parents, à Vorey-sur-Arzon entre 1894 et 1897 (il a 7 ans), il entre dans la classe unique de Monsieur Soulier Jean (Léon suivant J.M. Loubier ?) à l’âge de 6 ans qui s’attache à corriger les défauts d’élocutions de son élève.» […] « Louis s’exécute et s’exerce […] il apprend des fables de La Fontaine et des phrases comme celle de « l’archiduchesse ». » […] « Les progrès étonnent ses parents, ravis de ne plus voir leur fils se retrancher dans un mutisme exaspérant. Difficultés d’élocution, d’articulation, de prononciation … ! Il trébuche encore sur certains mots, certaines phrases, mais de là à écrire qu’il bégaie serait à la fois lui faire injure et mentir ».
Nota : Louis Jouvet reviendra à Vorey en août 1946, pour revoir son instituteur Soulier et lui rendre hommage.
Adolescence
Collège Notre-Dame à Rethel
Après un passage chez les Lazaristes à Lyon en 1898 pendant quatre ans et suite au décès accidentel de son père en 1902 (Louis à 14 ans), il quitte Lyon et se réfugie avec sa mère, dans la famille de celle-ci à Rethel (Ardennes) où il est inscrit au collège Notre-Dame et où Jouvet trouve le chanoine Achille Morigny 1 qui est passionné par le théâtre et anime la troupe du collège: Jouvet joue des œuvres, difficiles, austères, sérieuses (Cinna, Macbeth, Don Quichotte, L’Avare) et découvre des horizons nouveaux.
1 Suivant Charles Leleux qui y était élève de 1889 à 1895, celui-ci a écrit dans ses souvenirs que le directeur était le chanoine Prévotaux, « partisan convaincu des séances théâtrales données par les élèves eux-mêmes [..] Il y voyait le complément indispensable des cours de littérature [..] (BNF collection Louis Jouvet repris par Marthe Herlin)
La pratique du théâtre comporterait de nombreux intérêts dans la thérapie du bégaiement chez l’adolescent : elle favorise la mobilisation de multiples habiletés de communication, valorise des modes d’expression et de communication riches, notamment dans le cadre d’activités spécifiques, et permet à l’adolescent de s’affirmer à un âge où celui-ci est en pleine structuration de sa personnalité et on peut penser que Jouvet a bénéficier de l’initiation au théâtre au collège Notre-Dame pour améliorer sa diction.
Conservatoire
En 1908, lorsqu’il a voulu se présenter au Conservatoire dans le rôle d’Horace (il se présentera trois fois) son interprétation ne plaît pas au jury : « élocution hachée, difficile, voire pénible de ce jeune élève et son « absence de physique » le desservent » […] « Son jeu […] ne correspond pas aux canon de l’époque ». (Il fut accepté, par la suite, à sa demande, dans la classe de Leloir comme auditeur libre).
Pour évoluer à un niveau supérieur, il lui fallait rencontrer un formateur d’exception. Louis Leloir, professeur au Conservatoire, aurait pu devenir ce mentor, mais il meurt prématurément, en 1909. (Jouvet lui empruntera cette façon particulière de casser la phrase et de rythmer le verbe).
Extrait de « Louis Jouvet au Royaume des imaginaires » de Marc Véron
Théâtre du Vieux Colombier 1913
Il a interprété deux bégayeurs :
André Degaine, historien du théâtre français, (1926-2010) qui fut également dessinateur, décorateur et auteur dramatique, indique que Jouvet a interprété un bégayeur à ses débuts: en 1913 il a joué le rôle de Macroton dans L’amour médecin et la critique l’a repéré dans ce numéro comique de médecin bègue. La légende, selon Degaine, serait née de là, selon laquelle sa diction si particulière masquerait un bégaiement naturel.
Après le spectacle, la troupe a été acclamée. André Suarès écrit que Molière n’avait jamais été aussi bien servi et écrit » Votre jeu de l’Amour Médecin est une petite merveille […] je n’ai jamais vu Molière mieux servi […] Enfin, je suis fou de vos deux médecins, l’un le gros réjoui, et l’autre, le grand cadavre bègue : J’étais mort de rire… »
Il a également interprété des personnages bègues comme Brid’oison dans Le Mariage de Figaro ou La Folle Journée (à New York en 1918) (cf. Wikipédia) ou un domestique bègue dans le film Mister Flow. « C’est aussi une œuvre comique au rythme endiablé (la « folie » enfiévrée de la « Folle journée » illustre le comique de répétition, de mots ou de gestes (l’huissier glapit, se lève et rassied comme un pantin pour calmer l’audience; Brid’oison bégaie »
Témoignage de François Périer qui écrit dans son livre « Lettre à un jeune comédien » à propos de Louis Jouvet
Un revenant, François Perier avec Jouvet
La première chose qui frappait chez Jouvet, c’était évidemment sa diction théâtrale que l’on s’étonnait d’entendre encore lorsqu’il était sorti de scène. «Alors, comme ça, mon petit, tu veux faire du théâtre…» Elle résonne toujours en moi, cette phrase prononcée en juillet 1935 avec cette intonation si bizarre que Jouvet définissait lui-même : une bouteille de Champagne qu’on débouche. Dieu sait si on a construit des légendes sur le phrasé de Jouvet. Certains ont affirmé qu’à l’exemple de Démosthène il s’était entraîné à parler, des cailloux dans la bouche, avec pour résultat ce curieux débit de voix. D’autres ont cru que Jouvet souffrait d’un bégaiement dont il n’avait pu se guérir qu’en apprenant à peser ainsi sur les mots. Cette piste partait d’un fait vérifié : pour sa première apparition au théâtre, dans un spectacle de Copeau, Jouvet avait effectivement tenu le rôle d’un bègue. Mais ce n’était que du théâtre ! Jouvet parlait de cette manière, et c’est tout. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours par an, et depuis toujours. De ce qui aurait pu être un défaut, il avait fait une formidable arme de scène. C’est le privilège des très grands : ils apprivoisent la fatalité et donnent l’illusion d’en avoir fait le choix.
François Perier
Avec Jouvet, on ne savait plus où était l’acteur et où était l’individu. Ils étaient en représentation permanente. Ainsi, dans ce grand corps un peu mécanique, surmonté d’une tête de prêtre mongol, qui arpentait devant moi son petit bureau de l’Athénée, je ne crois pas avoir vu Louis Jouvet mais le docteur Knock. La représentation continuait, et j’avais juste l’impression délicieuse qu’elle m’était exclusivement destinée. Avoir Jouvet pour soi tout seul, quel beau cadeau !
Jean Sarment : « Le génial « hurluberlu » du Garrick-Theatre . (1917-1919).
Louis Jouvet raconté par 30 témoins de sa vie – quatrième partie 1951 (Cinémonde)
Jean Sarment rapporte qu’au Garrick Théâtre, à New-York, où Jouvet surveillait les travaux en 1917, Jacques Copeau cherchait Jouvet qu’il avait envoyé à l’avance pour surveiller les travaux.
– Où es-tu, Louis ?
– Ici…
Et l’on vit monter tout droit comme une fumée, émerger des dessous de ce qui allait être une scène, une forme longue et maigre, blanche comme un fantôme, un Louis Jouvet plâtré des pieds à la tête, coiffé de l’armet de don Quichotte, blanc de plâtre lui aussi. D’une main il s’essuyait un front fondant de sueur, de l’autre il manipulait sèchement, à bout de bras, un mètre dépliable.
– Cela va bien… cela avance… disait-il. En ce temps-là, il bégayait encore un peu. Et à nous:
– Ne vous mettez pas dans mes jambes! Allez visiter le pays ! Curieux… me suis-je laissé dire… Fichez-moi le camp ! Ici il n’y a pas encore de planches… Pas de planches, pas besoin de comédiens!
Et il riait de son grand rire sourd – déjà le rire d’Arnolphe, henni, syncopé.
Note personnelle : Le fait de répéter une phrase n’est pas un symptôme de bégaiement. (comique de répétition).
Comme dans le film « Drôle de drame » dialogue de Prévert
» Oui, vous regardez votre couteau et vous dîtes bizarre,bizarre. Alors je croyais que …
– Moi, j’ai dit bizarre, bizarre, comme c’est étrange ! Pourquoi aurais je dit bizarre, bizarre ?
– Je vous assure mon cher cousin, que vous avez dit bizarre, bizarre.
– Moi, j’ai dit bizarre, comme c’est bizarre ! »
Jouvet parle de lui
Ecoute mon Ami, (éd. 1952 p. 33)
[…] pour approcher, dans ce tumulte en moi, dans ce bafouillage, pour atteindre des idées.
P129 : Le Théâtre est un Métier honteux
« Aujourd’hui, quand je l’entends, je trouve encore, dans le placard à sensations qu’est la mémoire, l’impression physique de toucher au fond des poches de ma culotte les vieux galets polis qui ne me quittaient jamais. J’écoutais la fugue sur la honte en les polissant sournoisement et le mot et les galets s’égrenaient et s’y lissaient dans une agréable indifférence qui me revient encore au bout des doigts. »
Extraits de films
Le « phrasé syncopé » de Jouvet n’est pas toujours présent dans ses films. Exemples
Copie conforme : Louis Jouvet interprète les 2 rôles, sa diction s’adapte alors au personnage: bourgeois ou humble.
Les Bas fonds 1936 avec Jean Gabin : Un baron ruiné par le jeu surprend chez lui un cambrioleur, Pepel, avec lequel il sympathise immédiatement et finit la nuit à boire ses derniers deniers.
Louis Jouvet fait preuve d’une fantaisie étonnamment juvénile, à mille lieues de ses futures compositions hiératiques et pince-sans-rire
D’autres documents éclairants
Marc Véron qui écrit actuellement une biographie sur Jouvet nous signale que selon des documents disponibles à la BnF, des médecins soignant ses problèmes cardiaques durant la guerre de 14-18, notaient que sa diction était influencée par sa maladie; Jouvet malade, épuisé, sera évacué et affecté en février 1917 à l’infirmerie régimentaire du 1er groupe d’aviation de l’aérodrome de Saint-Cyr.
Par ailleurs un psychologue (ou un graphologue) signalait que la ponctuation de ses écrits révélait également ses problèmes cardiaques. Ces deux points très intéressants sont à approfondir et il faudrait également chercher auprès d’un spécialiste dans les épisodes vécus dans sa jeunesse, et prendre en compte ses dons, son esprit créatif toujours en effervescence qui ont façonné cette personnalité hors du commun.
Louis Jouvet a travaillé sa diction comme tout comédien, il a mis en lumière le rôle de la respiration dans la restitution d’un texte pour captiver le public. Sans doute a t’il canalisé le souffle qui lui faisait défaut compte tenu de ses problèmes cardiaques, difficulté d’élocution qu’il a pu surmontée dans sa jeunesse et à ses débuts dans le théâtre.
Il serait intéressant que vous participiez à ces réflexions, tout documents ou témoignages de votre part sont les bienvenus!
Extrait de
DROUOT RICHELIEU SALLE 2 – PARIS.
Vendredi 1 avril 2005 à 14h15
Bibliothèque LOUIS JOUVET
Souvenirs et Objets personnels. Succession Liza Jouvet
Lorsque Louis Jouvet évoquait Molière, il voulait juger son œuvre d’un point de vue professionnel, et le considérait d’abord comme un homme de métier.
Professionnel, métier, constamment ces termes reviennent sous sa plume.
Du théâtre il aura maîtrisé chaque facette : tour à tour, éclairagiste, décorateur, architecte, régisseur, comédien, metteur en scène, chef de troupe, producteur.
Lorsqu’en 1905, il entame un cursus universitaire, à Paris, il a été nourri au lait des enseignements des Frères des Ecoles chrétiennes de Toulouse, du Puy et de Rethel et des Lazaristes de Lyon, mais aussi d’une morale qui ne supporte pas la transgression.
Pour prix de son émancipation, il a promis au conseil de famille de mener à leur terme des études de pharmacie.
Sa soif inextinguible de théâtre, il l’assouvira au détriment de ses heures de détente : déjà, il ne dort que quelques heures.
Le Paris de la Belle Epoque s’offre à lui comme le Paris de tous les possibles.
Les revues poétiques confidentielles, et bien souvent éphémères, pullulent. L’ambition de la jeunesse est encore littéraire. L. Jouvet rejoint la Foire aux Chimères, d’inspiration libertaire, que ses rédacteurs vendent au numéro sur le boulevard Saint Michel.
Sous ce titre il fonde un groupe théâtral qui propose ses services aux Universités Populaires ; pour de nouveaux venus auxquels les théâtres officiels restent désespérément fermés, c’est l’opportunité de se produire devant un public d’ouvriers et d’employés.
Jouvet, qui, patiemment, noue des contacts avec des acteurs professionnels, décroche bientôt des cachets dans des tournées ou des festivals, et se familiarise avec les scènes les plus hétéroclites, s’adapte à toutes les formes de jeu et de rapport entre le plateau et la salle.
Pour évoluer à un niveau supérieur, il lui fallait rencontrer un formateur d’exception. Louis Leloir, professeur au Conservatoire, aurait pu devenir ce mentor, mais il meurt prématurément, en 1909. (Jouvet lui empruntera cette façon particulière de casser la phrase et de rythmer le verbe).
Léon Noël, acteur de mélodrame fameux, auquel il est redevable de plusieurs engagements et qu’il aime filialement, achève sa carrière, en même temps que le mélodrame disparaît des grandes scènes.
Non, l’homme du destin se nomme Jacques Copeau. Jouvet est distribué dans l’adaptation que ce dernier vient de réaliser de l’œuvre de Dostoievski, Les Frères Karamazov, au Théâtre des Arts, en 1911, et surtout est de l’équipe fondatrice du Vieux Colombier, en 1913. Contractuellement, Jouvet est recruté comme régisseur et presque accessoirement comme comédien.
Sous la férule de Copeau, les élans libertaires et romantiques de Jouvet vont devoir se soumettre à une discipline collective. Par opposition aux années dans le siècle que Jouvet a connues dans toute leur richesse et leur variété depuis 1905, commencent prés de dix années marquées du sceau de la règle classique et d’une amitié tellement absolutiste qu’elle ne résistera pas à l’épreuve du temps.
Jouvet, qui se veut une voix anonyme dans le chœur – ce qui ne l’empêche pas d’être remarqué par la critique dès qu’il compose un rôle – inlassablement apprend, refait les mêmes gestes, dessine des plans, construit de ses mains des décors, conçoit des scènes (trois théâtres seront ainsi rénovés par lui), et lit tout ce que la littérature peut recéler d’ouvrages dramatiques ou consacrés au théâtre.
Lorsqu’éclate la Première Guerre Mondiale, en août 1914, le Vieux Colombier a été unanimement célébré pour la Nuit des Rois, et rien ne semble devoir entraver son ascension.
Jouvet est au front comme ambulancier puis médecin auxiliaire, autrement dit assiste les agonisants et est exposé aux pires souffrances humaines. Grâce à une correspondance exceptionnelle avec Copeau, que son état de santé dispense de servir par les armes, il se construit une bulle de survie dans cet enfer.
D’autres participent à ces échanges épistolaires : Roger Martin du Gard, André Gide, Jean Schlumberger, etc. Car, en 1913, en même temps qu’il ralliait le projet de Copeau, Jouvet tombait dans le chaudron magique de la NRF.
Louis Jouvet sa « cagnat »
Quand le canon veut bien se taire, dans son abri semi enterré (sa « cagnat »), Jouvet trace à la hâte des notes de travail sur des papiers de fortune. Ses premières réflexions sur Dom Juan datent de 1915. Sa vie durant, il ne cessera de consigner des propos, la plupart du temps dans la fièvre des entractes ou des fins de représentation.
En 1917, la décision, inspirée par Philippe Berthelot, d’envoyer aux Etats-Unis la troupe du Vieux Colombier comme représentant officiel de la culture française, rend Jouvet à la vie artistique.
Pendant deux saisons (1917-1919) et au rythme d’une création par quinzaine, puis par semaine, au Garrick Theatre de New York, remodelé par ses soins, Jouvet se multiplie dans toutes les fonctions. Toutes sauf une.
Copeau n’entend pas déléguer un pouvoir qu’il est pourtant irréaliste de vouloir exercer solitairement devant un programme aussi démentiel. A aucun moment, Copeau ne propose à Jouvet d’assumer une mise en scène.
Dans cette corporation fermée qu’est le Vieux Colombier, il apparaîtrait conforme à la tradition que le compagnon soit reçu maître après avoir façonné le chef d’œuvre que l’expérience acquise rend accessible.
En 1922, ce sera la rupture. Si les deux hommes se gardent de prendre à témoin de leur différend l’opinion et si Jouvet se montre toujours déférent à l’endroit de son « Patron »; leur amitié est durablement affectée.
En trois mouvements, le destin qui se manifeste sous les traits de Jules Romains, permet à Jouvet d’accéder à la direction de la Comédie des Champs-Elysées.
Georges Pitoëff
Sollicité par Jacques Hebertot pour codiriger avec Georges Pitoeff la scène de ce jeune théâtre, Jouvet apporte dans la corbeille de leur accord Monsieur le Trouhadec saisi par la débauche. Succès.
Fin 1923, avec Knock, Jules Romains, exploitant une veine moliéresque, signe un classique de l’art dramatique et Jouvet endosse les habits d’un personnage providentiel.
En 1925, enfin, la « Société du Théâtre Louis Jouvet », largement portée sur les fonds baptismaux par l’auteur des Copains, procure à Jouvet l’assise économique qui lui manquait encore.
Les témoins d’alors ont pu parler d’un théâtre Jules Romains. En fait, les deux hommes, s’ils se sont heureusement associés à la faveur de multiples projets théâtraux et cinématographiques, ont toujours préservé un prudent quant à soi.
Or c’est dans l’amitié partagée que la créativité de Jouvet s’épanouit – cette amitié qui, depuis la rupture de 1922, lui fait cruellement défaut et qui, pour prospérer, suppose deux êtres de plain-pied.
Cet appel de l’amitié devait recevoir sa réponse avec Jean Giraudoux, et l’adaptation théâtrale de Siegfried et le Limousin en être le déclencheur.
Pas moins de treize œuvres dramatiques de Jean Giraudoux seront portées à la scène par Jouvet, à partir de 1928. Seules les circonstances empêcheront que Sodome et Gomorrhe et Pour Lucrèce connaissent un sort identique.
Les deux hommes qui obéissent à une même pudeur de sentiments et dont la délicatesse d’esprit et le style inspirent chaque attitude, parviendront à une osmose artistique sans égale. Jouvet peut sans même interroger son auteur connaître ses réactions aux répétitions en observant son rythme respiratoire. Même si les voyages diplomatiques effectués par Jean Giraudoux à travers la planète contraignent les deux hommes à des échanges épistolaires, l’essentiel de ce qu’ils se disent à l’abri de la loge-bureau de Jouvet à la Comédie des Champs-Elysées, puis au Théâtre de l’Athénée, à partir de la rentrée 1934, est laissé à l’imagination des biographes.
L’un et l’autre, sans s’être jamais livrés à des exposés théoriques, rejettent le théâtre naturaliste et réaliste et s’inscrivent en rupture par rapport au XIXème siècle. Par leur génie, ils servent la poésie sous sa forme théâtrale, et sans rien céder aux modes et aux facilités, savent conquérir une vaste audience, en France et bien au-delà.
Ondine Madeleine Ozeray et Jouvet
Il est étrange que pour sa dernière apparition sur scène Jouvet ait joué la scène d’Ondine où meurt le chevalier Hans. C’était à Bellac, dans une manifestation qui honorait la mémoire de Jean Giraudoux, et Monique Mélinand lui donnait la réplique.
Il ne restait plus à Jouvet qu’un mois avant de rejoindre son ami au royaume des imaginaires.
La seconde Guerre Mondiale provoquera une seconde et définitive rupture dans le parcours artistique de Jouvet.
Décidé à ne pas subir les injonctions des nazis, il choisit l’exil, non pas un exil solitaire et clandestin, mais en grand apparat, avec toute sa troupe. Après une tournée en Suisse, puis en zone non occupée, il cingle vers l’Amérique du Sud, en juin 1941 – Pendant quatre ans, il parcourra tous les pays de ce continent, à l’exception du Paraguay, et sans oublier Cuba, Haïti, le Mexique et les Antilles françaises. A partir de 1942, le voyage devient épopée. Il faut à Jouvet, à ses techniciens et à Marcel Karsenty, l’impresario, une volonté hors du commun pour surmonter les obstacles – les moindres n’étant pas politiques.
Comme Molière, jour après jour, Jouvet doit assurer la subsistance de sa troupe. Au cours de cette épreuve où souvent il est à la limite de sa résistance physique, Jouvet s’ouvre à de nouvelles cultures, de nouveaux auteurs. Et il écrit. Comme jamais. Sur son métier, la condition du comédien, le sens de l’existence. Nombre de ses travaux paraîtront à titre posthume : Témoignages sur le Théâtre, Ecoute mon Ami, le Comédien désincarné.
Mais son chemin de Santiago, il le découvre dans un dialogue quotidien avec Molière, et pourquoi ne pas ajouter avec Dieu. La perfection théâtrale est à ses yeux le moyen de se rapprocher de Dieu, et celle-ci s’est incarnée en Molière.
Les œuvres majeures qu’il sert de tout son génie sont désormais d’essence religieuse : l’Annonce faite à Marie, Tartuffe, Dom Juan, La Puissance et la Gloire.
Ce résumé trop succinct, qu’il n’aurait pas approuvé, lui qui détestait les hommages académiques et les embaumements littéraires, ne peut être clos sans que soit posée cette question : qu’est ce qui rend Jouvet si présent ? Plus de cinquante ans après sa mort qu’est ce qui en fait un classique ? Paradoxalement, car il n’est oeuvre plus éphémère qu’un spectacle !
Son jeu nous est essentiellement connu par le cinéma, les enregistrements radiophoniques et le microsillon. Il se situe en dehors du temps et ne porte aucune des rides dont le cabotinage, les procédés et les trucs faciles affublent trop souvent les acteurs.
Mais probablement faut-il aller quérir la réponse au-delà ?
– Jouvet a été un pédagogue d’exception et ses cours nous ont été restitués presqu’intégralement par la transcription qu’en a réalisée Charlotte Delbo, et quelques uns de ses élèves nous ont édifiés à ce sujet : Bernard Blier, Jean Meyer, Paula Dehelly – comment ne pas évoquer le merveilleux Elvire – Jouvet 40 mis en scène par Brigitte Jaques.
– Jouvet a fait œuvre de réflexion, à la fois historique, philosophique et sociale et nous a légué des matériaux stimulants pour la recherche. Que l’on songe aux travaux qui se poursuivent aux Etats-Unis, au Canada, au Japon, en Italie, sur cet héritage.
– Enfin, Jouvet nous a transmis l’image d’un créateur d’une haute valeur morale. Cette qualité ne lui appartient pas en propre. On pourrait user des mêmes qualificatifs à l’endroit de Gaston Baty, de Charles Dullin ou de Georges Pitoeff, réunis au sein du Cartel.
Cette morale habitait un spiritualiste, qui cherchait constamment à dépasser ce que ses simples qualités humaines lui permettaient d’espérer – Par l’art.
Un jour, j’ai demandé à Françoise Giroud de me définir Jouvet en un mot – Je crus percevoir un léger voile dans son regard.
– « Un artiste, me répondit-elle, exceptionnel ».
Marc Véron
Lien vers le site – totalité de l’article
Deux personnes Babouvjka et Sivadon 1949 sont intervenues auprès de Wikipédia pour modifier les informations parues à propos de la tournée de la troupe de Louis Jouvet en Amérique latine. Aujourd’hui tous les renseignements concernant cette tournée ont été effacées dans cette page.
Vous trouverez ci-dessous les deux textes de leurs différentes interventions.
Cette partie de l’article ne fait vraiment pas honneur à Wikipédia ! Entre la volonté manifeste de salir la mémoire d’un homme et les détails scabreux de sa vie privée, il apparait que l’auteur ne respecte ni le principe fondateur de Wikipédia de neutralité de point de vue ni la caractère encyclopédique des informations données.
Absence de caractère encyclopédique :
– « il part en tournée avec sa troupe en Amérique latine, accompagné par sa maîtresse Madeleine Ozeray, »
– « Mais Madeleine suit un admirateur en Argentine… »
L’auteur est-il un habitué des petits romans à quat ‘sous pour trouver là un intérêt quelconque ?
Pour ce qui concerne le principe de neutralité, j’ai formulé des remarques en novembre 2015 qui non seulement n’ont pas été prises en compte mais qui ont entrainé des modifications aggravant les propos diffamatoires.
Au 11 mars 2016, on pouvait lire :
Les travaux de Denis Rolland sur les archives de la tournée ont insisté sur les ambiguïtés de cette tournée, au moins jusqu’en 1943.
Aujourd’hui, on peut lire :
Les travaux de Denis Rolland sur les archives de la tournée ont insisté sur la collaboration avec l’ennemi pendant cette tournée, au moins jusqu’en 1943.
D' »ambiguïtés », on passe à une « collaboration » active.
Mais où donc l’auteur a-t-il trouvé cela ?
Je rappelle les éléments que j’ai donné pour justifier ma demande de révision de novembre 2015 :
Selon les propres termes de M. Denis Rolland lui-même dans l’ouvrage cité en référence : Louis Jouvet et le Théâtre de l’Athénée : « Promeneurs » de rêves en guerre de la France au Brésil :
« … Si le régime de Vichy subventionne largement la tournée sur les terres latino-américaines, par l’intermédiaire de l’AFAA et du Service des œuvres des Affaires étrangères, Louis Jouvet n’apparait jamais comme un artisan d’une quelconque propagande politique, mais se manifeste davantage comme un ambassadeur culturel de choix pour un régime qui cherche à mettre en valeur les atouts de la culture nationale… »
http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2001_num_70_1_1374_t1_0182_0000_2
Concernant Albert Ledoux, celui-ci lui reproche de ne pas avoir « pris parti » et de ne pas se « désolidariser publiquement de la politique collaborationniste du gouvernement français ».
Il faudra préciser en quoi « Louis Jouvet se heurte à l’action des gaullistes » car le document qui en fait mention ne peut être consulté d’aucune façon.
(Cahiers des Amériques latines N° 28/29 (187-204). Louis Jouvet en Amérique Latine (1941-1945) : « Au delà de la propagande de Vichy » par Hugo Rogélio Suppo, Université de Rio de Janeiro, Credal.)
Sauf peut-être à aller le consulter à l’Université de Rio de Janeiro ?
On notera donc que cette diffamation ne repose que sur l’opinion d’une seule personne (voire peut-être à son interprétation), l’opinion de Denis Rolland, qui est reprise et amplifiée par les médias qui s’en font l’écho. Mais il ne s’agit que d’UNE SEULE personne, c’est tout de même un peu court pour porter une accusation aussi grave
Pour conclure, l’auteur de ce chapitre, soit manque de cohérence, soit ne manque pas d’humour ! Il peut écrire à la suite :
« Jouvet est reçu par le général de Gaulle. Les travaux de Denis Rolland sur les archives de la tournée ont insisté sur la collaboration avec l’ennemi pendant cette tournée, au moins jusqu’en 1943 ».
RAPPEL : Louis Jouvet a reçu la Légion d’honneur le 30 juillet 1950
Propositions pour la neutralisation
Chapitre : La tournée sud-américaine durant la guerre
Sivadon 1949
On ne peut pas souiller la mémoire d’un homme avec des insinuations et des raccourcis sous entendant le collaborationnisme de Louis Jouvet, d’autant plus lorsque ce point est controversé.
Lire l’article de Alberte Robert
http://television.telerama.fr/television/louis-jouvet-ambivalent-pendant-l-occupation,63931.php
Selon les propres termes de M. Denis Rolland lui-même dans l’ouvrage cité en référence : Louis Jouvet et le Théâtre de l’Athénée : « Promeneurs » de rêves en guerre de la France au Brésil :
… Si le régime de Vichy subventionne largement la tournée sur les terres latino-américaines, par l’intermédiaire de l’AFAA et du Service des œuvres des Affaires étrangères, Louis Jouvet n’apparait jamais comme un artisan d’une quelconque propagande politique, mais se manifeste davantage comme un ambassadeur culturel de choix pour un régime qui cherche à mettre en valeur les atouts de la culture nationale…
Voir (idem 1ere intervention):
http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_2001_num_70_1_1374_t1_0182_0000_2
En 1940, Louis Jouvet s’exile après que les allemands lui interdisent de jouer les pièces de Jules Romains et de Jean Giraudoux. Or Jouvet continuera notamment de jouer « Knock » de l’autre coté de l’atlantique. Qui, selon :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Knock_ou_le_Triomphe_de_la_m%C3%A9decine
est une « Comédie grinçante, qui dénonce la manipulation, qu’il s’agisse de médecine ou de toute idéologie, comme de n’importe quel commerce ». Par ailleurs Jules Romains ne retirera pas son amitié à Louis Jouvet, il écrira les dialogues du film éponyme de Guy Lefranc où Jouvet est directeur artistique et où il incarne le docteur Knock.
Malgré les reproches formulés par Albert Ledoux à Louis Jouvet de ne pas avoir « pris parti » et de ne pas se « désolidariser publiquement de la politique collaborationniste du gouvernement français », rien n’empêche de penser qu’un acteur peut transmettre un message en jouant une pièce de théâtre, en continuant à jouer plutôt qu’à se voir banni des scènes. Les exemples ne manquent pas.
Et pour mémoire, Louis Jouvet a reçu la Légion d’honneur le 30 juillet 1950.
Et vous pensez améliorer la neutralité en supprimant le paragraphe entier, au lieu de l’améliorer ? Pourquoi ne pas supprimer l’article, tant qu’on y est ? Supprimer Wikipédia, pour faire avancer la transmission de la connaissance ?
Sivadon 1949 (discuter) 3 décembre 2016 à 20:14 (CET)
A cette controverse, je pourrais ajouter notre réserve à propos de l’information qui paraissait sur Wikipédia indiquant de façon péremptoire que Louis Jouvet était bègue, information ensuite relayée abondamment sur Internet. Ce point a été également supprimé. En préparation un article sur ce sujet, il sera publié prochainement.
Il ne s’agit pas de critiquer Wikipédia qui offre la possibilité de modifier leurs textes; ici via la rubrique Neutralisation utilisés par ces deux personnes. Mais cela oblige à une vigilance et à l’obligation de la part de Wikipédia de rapporter des faits et non des opinions qui traînent sur le Web en les publiant comme étant des certitudes.
Publié le
LA DANSE DU DIABLE
THÉÂTRE DE L’ATHÉNÉE
♥ ♥ ♥ ♥ Comédien solaire. Comédien unique. comédien absolu. Philippe Caubère. Mégalomane de théâtre. Sur lui, on a tout dit, tout écrit, tout entendu. Les papiers dithyrambiques pleuvent ces jours-ci dans la presse pour saluer son retour sur les planches du théâtre Athénée dans deux de ses spectacles cultes : « Le Bac 68 » et « La Danse du Diable », extraites de son entreprise colossale initiée il y a 35 ans de raconter et jouer sa vie sur scène. Laissons la parole à Caubère : « La Danse du Diable est un spectacle joué par un seul acteur, qui en est l’auteur ; mais ce n’est pas un « one man show », ni une série de sketches ; c’est une histoire ; comique parce que j’espérais qu’elle fasse rire, fantastique parce que je voudrais qu’elle fasse un peu rêver… ». A celles et ceux qui connaissent déjà l’univers du comédien, il suffira d’évoquer Claudine -le personnage maternel, fil rouge de tous ses spectacles- Madame Colomer, Isabelle et ses pataugas dans la colline, les gonzes en scooter Malaguti filant vers l’Estaque et Ferdinand Faure (l’alter ego de Caubère), ce gamin de Marseille né en 1950 et les premiers héros de son enfance, son amour fou du théâtre, ses premiers pas d’apprenti comédien. A celles et ceux qui ne le connaissent pas, allez découvrir l’univers enchanteur d’un des plus grands comédiens français.
Dans ce marathon théâtral de 3 heures écrit en 1981 et toujours joué depuis (un record), Caubère irradie et nous embarque irrésistiblement dans cette tranche de vie avec une générosité et un talent infini. Tout seul avec sa chaise en bois sculptée et son petit banc sur l’immense plateau noir de l’Athénée, le comédien brosse une galerie de portraits plus savoureux les uns que les autres, déroule avec un talent sans pareil les épisodes de sa jeunesse, cabotine, sautille comme un cabri, se roule par terre, use et abuse d’onomatopées, excelle dans les imitations, nous entraîne dans le voyage infini de sa vie jusqu’à l’épilogue d’une émotion rare et d’une grâce absolue. Mardi dernier, bien entourée d’un public tout acquis à sa cause d’un des comédiens les plus fascinants de notre époque, j’ai passé un moment de théâtre inclassable et exceptionnel. Bravo monsieur Caubère.
Signé Elisabeth
LA DANSE DU DIABLE
Théâtre Athénée Louis-Jouvet, square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, 75009 Paris (Metro Opera, Havre-Caumartin)
Jusqu’au 20 novembre 2016
Lien vers l’article complet et les photos du site Coup de théâtre
La Danse du diable – Théâtre de l’Athénée—Coup DE THÉÂTRE !
Et ça continue encore et encore… Caubère dans A NOUS Paris et Le Canard enchaîné
« Du soliloque logorrhéique de Claudine à l’oral d’histoire-géo qui plonge Ferdinand et son examinateur dans des abîmes de perplexité (une régalade), notre ludion protéiforme insuffle ici du cocasse, là une dose d’acrobatie foraine. La salle l’ovationne. Pas étonnant : il fait si bon respirer son air burlesque et libertaire. »
A NOUS Paris à propos du Bac 68
Phiĺippe Caubère
« Ce spectacle prend, avec le temps, une densité nouvelle : avec toute sa force comique et sa puissance d’évocation, il se fait liturgie, magnifique chant d’amour filial. On pleure de rire, on finit en larmes. »
Le Canard enchaîné à propos de La Danse du diable
Christian Bérard, décorateur
La Belle et la bête de Jean Cocteau
Christian Bérard est né le 20 août 1902 à Paris. Si son nom vous semble inconnu, vous connaissez certainement son œuvre à travers sa contribution la plus marquante au cinéma en tant que décorateur du film La Belle et la bête de Jean Cocteau en 1945.
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Un extraordinaire talent d’illustrateur et de décorateur, une personnalité hors du commun, fantasque et nostalgique, ont assuré la notoriété de Christian Bérard. Ses amitiés avec les personnalités du théâtre, du ballet, de la mode et de la littérature, ses travaux d’illustrateur, sa vie mondaine et affective très animée ne l’ont pas empêché d’effectuer, parallèlement, une carrière de peintre pour des compositions et des portraits insolites, parfois pathétiques, qui situent son œuvre aux confins du surréalisme.
Lié d’amitié avec Jean Cocteau, Bérard aborde grâce à lui la création théâtrale : son premier décor est destiné à la mise en scène de La Voix humaine de Cocteau à la Comédie-Française (1930). Très introduit dans le groupe des Ballets russes, grâce à Boris Kochno, secrétaire de Diaghilev, il se familiarise avec le climat insouciant et inventif d’une certaine bohème élitiste.
Extraits de Christian Bérard – Encyclopædia Universalis
Dès le début de sa carrière, Christian Bérard est attiré par le théâtre dont il deviendra l’un des principaux créateurs de décors et de costumes au cours des années 1930 et 1940. Il travaille dès 1930 en étroite collaboration avec Jean Cocteau et Louis Jouvet pour lesquels il réalise entre autres les costumes et/ou les décors en 1930 du ballet La Nuit de Cochram à Manchester, musique de Henri Sauguet, en 1932 du ballet Cotillon, chorégraphie de George Balanchine, de La Machine infernale (1934), L’École des femmes (1935), Renaud et Armide de Jean Cocteau (1943), Sodhome et Gomorrhe de Jean Giraudoux (1943) , La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux (1945), Les Bonnes de Jean Genet (1947) et Dom Juan de Molière (1948), sa contribution la plus célèbre demeurant en 1946 la conception des décors et des costumes du film de Jean Cocteau , La Belle et la Bête. Après avoir collaboré ponctuellement avec Vogue, il débute en 1935 une relation de travail fidèle avec ce magazine, relation qui se poursuivra jusqu’à Noël 1948 peu avant sa mort. Il est également proche de Carmel Snow , magazine de mode américain Harper’s Bazaar pour lequel il réalise des illustrations. Il fera la couverture d’un prestigieux numéro hors série de l’édition française de Vogue, diffusé immédiatement après la Libération. Il dessine d’un trait le célèbre tailleur « Bar » peu après, et participe à la décoration de la nouvelle boutique Dior avenue Montaigne.
Les encres, gouaches et techniques mixtes aujourd’hui dispersées témoignent de l’inlassable créativité de Bérard qui consacra sa vie à la scénographie, à l’illustration (œuvres complètes d’Arthur Rimbaud) et à la peinture (Portraits de René Crevel – Musée National d’Art Moderne).
Il mêla dans ses décors esprit et fantaisie, réintroduisant des paravents décoratifs, peints par ses soins et employant à contre courant des corniches, des fausses frises, des trompe-l’œil : on trouve chez Bérard une subtilité dans le choix des couleurs, une maîtrise et une imagination poétique dans le traitement du sujet comme l’illustrent les gouaches pour La Folle de Chaillot, La Coupe enchantée , La Folle journée ou la série d’encres de chine pour Don Juan.
Victime d’une embolie cérébrale, Christian Bérard meurt subitement le 12 février 1949 au théâtre Marigny pendant la présentation de son décor des Fourberies de Scapin de Molière mise en scène par Jouvet pour la compagnie de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault.
Au 2 rue Delavigne Paris 6ème, Chez Christian Bérard, gouache par Alexandre Sérébriakoff.
Louis Jouvet et Jean-Louis Barrault lui évitèrent la morgue, lorsque terminant un décor au théâtre Marigny et donnait des explications aux machinistes qui plantait son décor, il se leva, bâtit des mains , et s’adressant aux ouvriers il s’écria « c’est fini ! » et tomba raide mort.
Mort dans un lieu public, son corps d’après la loi, devait être transporté à la morgue. Mais Barrault et Jouvet qui se trouvaient avec lui, décidèrent de le ramener alors chez lui au cinquième étage. Le tenant sous les bras et le faisant marcher pour faire croire qu’il avait trop bu le montèrent jusqu’à son appartement dans le 6ème arrondissement de Paris. Une sortie comme une ultime pirouette, raccord avec une vie bien remplie et partagée durant vingt ans avec Boris Kochno, ancien amant de Diaghilev dont il avait pris la succession à la tête des Ballets russes.
La première mise en scène d’œuvre dramatique, qui permit à Bérard de déployer ses dons innés de décorateur de théâtre, fut celle de la pièce de Jean Cocteau, La Machine infernale, montée par Louis Jouvet en 1934 à la Comédie des Champs-Élysées. C’est sur l’instigation de Cocteau que Jouvet avait demandé à Bérard les décors et costumes de cette pièce. Il n’avait jamais rencontré Bérard, et au début de leur travail commun, il observait avec appréhension ce barbu exubérant qui ne ressemblait en rien aux collaborateurs de ses spectacles précédents. Il était évident que Jouvet, travailleur méticuleux et pondéré, pouvait être désemparé.
Jean COCTEAU : « De l’entêtement à la plus grande ouverture… »
Lorsque Jouvet me demanda La Machine infernale, je lui parlai de Christian Bérard. Bérard venait, du premier coup, de prouver sa maîtrise à la Comédie-Française avec La Voix humaine. Jouvet ne voulut rien entendre, sous prétexte que Bérard ne présentait aucune maquette, qu’il se contentait de griffonner sur des nappes.
Mais Jouvet n’était pas long à comprendre. Il passait de l’entêtement à la plus grande ouverture. Je ne lui imposai pas Bérard. Je l’emmenais avec moi. Jouvet l’écoutait parler, raconter décors et costumes.
L’entreprise de séduction passa mes espérances. Après une semaine, Jouvet ne quittait plus Bérard, l’appelait par son surnom, le consultait pour toute chose, grande ou petite. Et cela dura jusqu’à ce que les deux hommes se séparassent et se rejoignissent par les secrètes machineries de la mort. Jean Cocteau
1934 : La Machine infernale de Jean Cocteau, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.
Christian Bérard – La machine infernale – Cocteau
Cocteau avec Bérard, imagine un dispositif scénique placé sur une petite estrade pour réduire l’espace et insister sur le piège. Il renoue ainsi avec son enfance lorsqu’il se servait de boites en carton pour inventer des pièces dans sa chambre, « théâtres qui me faisaient bénir la fièvre excitante des rougeoles, des scarlatines et de l’appendicite. »
1936 : L’École des femmes de Molière, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.
L’Ecole des femmes – Bérard /Jouvet
L’interprétation et la mise en scène de Jouvet ont marqué toute une génération de metteurs en scène dont Antoine Vitez ou Giorgio Strehler. « Jouvet y jouait encore sur la mécanique, sur le pantin. Ce vieillard emperruqué, à tête de clown, couvert de rubans et de fanfreluches, il nous le présentait, d’emblée, comme une marionnette. […] Puis, progressivement, la marionnette se défaisait, par sursauts, et les rires se figeaient en de longs, douloureux et burlesques hoquets » (Bernard Dort). Le décor mobile imaginé par Christian Bérard a également marqué l’histoire. Le double décor de la pièce, conçu par Christian Bérard, représentait un jardin qui s’ouvrait et s’avançait vers les spectateurs. il a imaginé un décor mobile : une maison dont les murs d’enceinte peuvent s’ouvrir pour laisser voir le jardin de la maison d’Arnolphe. Ce décor transformable permet ainsi de conserver l’unité de lieu tout en rendant la situation plus vraisemblable : Agnès ne sort pas dans la rue, tandis que l’accès de la maison est en effet interdit à Horace.
Yves Mathieu-Saint-Laurent assiste à une représentation de L’École des femmes de Molière avec Louis Jouvet, décors de Christian Bérard. Il découvre une passion pour le théâtre qui ne le quittera jamais. La Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent a acquis des costumes de cette production mythique.
« J’ai compris instantanément que j’avais assisté à une œuvre de génie et quoi que j’aie pu voir depuis, jamais rien n’a égalé cela. » dira Yves Saint-Laurent.
1938 : Le Corsaire de Marcel Achard, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.
Le Corsaire de Marcel Achard, décors de Christian Bérard
La pièce, au succès mitigé, avait débuté le 24 mars 1938 au théâtre Athénée avec Louis Jouvet et Madeleine Ozeray sur une musique de Vittorio Rieti, et des costumes et décors par Christian Bérard.
1939 : La Jalousie du barbouillé de Molière, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.
1945 : La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors CB
La Folle de Chaillot encre de Chine de Christian Bérard
La Folle de Chaillot, considérée comme le testament de Jean Giraudoux, remporta un succès exceptionnel. Outre le texte, la mise en scène, l’interprétation, les décors et les costumes firent l’objet
La Folle de Chaillot, Jouvet, décors et costumes Christian Bérard
d’admiration de la part du public. Des applaudissements sans fin saluèrent Louis Jouvet, Marguerite Moreno, Christian Bérard.
Devant des salles combles, la pièce fut jouée deux cent quatre-vingt dix-sept fois. Elle quitta l’affiche, non par manque de recettes, mais par l’épuisement des comédiens qui tombaient malades les uns après les autres. Marguerite Moreno et Louis Jouvet, eux mêmes succombèrent à la fatigue.
1946 : L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors
L’annonce faite à Marie, Louis Jouvet, costumes Christian Bérard
1947 : Dom Juan de Molière
Dom Juan, jouvet décors et costume Christian Bérard
La mise en scène de Jouvet comme la scénographie développée par Bérard séduisent le public ; le décorateur fait preuve d’inventivité en créant des costumes d’un style nouveau et un décor mobile qui permet de figurer deux lieux simultanément. Il garde un plateau assez épuré , persuadé que le détail, la discrétion attirent le regard plus qu’un décor massif. Par la suite on retrouve cette sobriété – notamment Dom Juan ou le Festin de Pierre en 1947- qui rejoint la conception de Jouvet d’un théâtre au service de l’auteur, de son texte.
Dom Juan, jouvet décors et costume Christian Bérard
1947 : Les Bonnes de Jean Genet, mise en scène Louis Jouvet, théâtre de l’Athénée – Décors C.B.
Le 19 avril 1947, au théâtre de l’Athénée, Les Bonnes est créé en lever de rideau d’une pièce un peu vieillotte de Giraudoux, L’Apollon de Marsac. Le public bourgeois, venu pour Giraudoux, reste muet devant Les Bonnes. « Lors de la générale, rapporte une des interprètes, il n’y a pas eu d’applaudissements », mais un « silence total […] C’était l’horreur ».
Décor réalisé pour la pièce de Jean Genet « Les Bonnes ». Photographie de René Giton dit René-Jacques (1908-2003).
Son vœu d’« établir une espèce de malaise dans la salle » a parfaitement réussi. Pour les autres représentations, il y a eu quelques quolibets, emboîtages et sifflets. En fait, jouée dans une atmosphère de véhémence politique et d’héroïsme de gauche, Les Bonnes déconcerte la critique. Si quelques rares journalistes, Dumur, Riniéri et Maulnier, soulignent « un nouveau style théâtral », la cinquantaine de comptes-rendus, que la pièce recueille, montrent leur embarras, ou carrément leur hostilité. Le 21 avril, dans Le Figaro, J.-J. Gautier la juge « impressionnante, mais déplaisante et même souvent odieuse » , le 2 mai,
Décors Les Bonnes, Christian Bérard sur le lit avec sa chienne Jacinthe
mais note que le sujet est «traité de travers ».
C’est en général l’irréalité de l’intrigue qui déplaît, aggravée, il semblerait, par les décors trop réalistes de Bérard. Genet et Sartre n’en sont pas satisfaits. Quoi qu’il en soit, la création des Bonnes n’indiffère personne et donne à Genet un statut d’écrivain, renforcé en juin par l’obtention du prix de la Pléiade, c’est-à-dire par le soutien hautement symbolique de certains membres de son jury : Sartre, Blanchot, Paulhan, Tual, Arland, et Bousquet (rejet, en revanche, de Camus). Dans ActionTardieu pense qu’« il est difficile de nier la beauté, un peu pompeuse et artificielle, du style de l’auteur»
Cette biographie, réédition d’un texte de Boris Kochno, son compagnon, dresse le portrait de celui qui fut le génial décorateur de Cocteau et de Giraudoux.
L’auteur témoigne au travers de l’hommage à cette éblouissante personnalité, du foisonnement créatif d’une époque marquée par l’entre-deux guerres puis l’occupation. Un ouvrage richement illustré de croquis de l’artiste et de portraits des personnalités les plus en vue du moment, rafraichissant !
Christian Bérard par Boris Kochno – 176 pages – 25 euros – aux éditions Nicolas Chaudun,
Il est né le 21 mars 1885 à Paris 18e et mort le 11 mars 1952 (à 66 ans) à Paris 9eme. Pierre Renoir est le fils du peintre Auguste Renoir et le frère du réalisateur Jean Renoir et du céramiste Claude Renoir. Grièvement blessé pendant la Première Guerre mondiale, il perd l’usage de l’avant-bras droit.
Pierre Renoir vu par son père
Réformé, il reprend sa carrière de comédien. Il est engagé en 1928 par Louis Jouvet dans sa prestigieuse troupe, où il crée plusieurs pièces de Jean Giraudoux. Il fut un ami et un proche collaborateur de l’acteur.
Pierre Renoir et Jouvet – La Guerre de Troie n’aura pas lieu – Giraudoux
Une place de choix est réservée à l’un d’entre eux, le seul auquel il se soit vraiment livré : Louis Jouvet. On découvre quelques correspondances inédites entre ces deux grands hommes de théâtre dans lesquelles se mêlent des considérations sur leur art, aussi bien que l’immense tendresse et la puissante affection qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Moins de six mois avant de disparaître, alors qu’il venait de perdre celui qu’il appelait familièrement son «vieux frère»,
Pierre déclare : «Pendant vingt-trois ans nous ne nous sommes pas quittés ou presque. Nous avons eu des rapports pour ainsi dire quotidiens. Notre travail a été constant. Nous avions deux tempéraments absolument différents. C’est peut-être pour cela que nous nous entendions extrêmement bien. II m’apportait quelque chose, je lui apportais quelque chose, cela formait une espèce d’unité. Je dois avouer que c’est pour moi une perte épouvantable. C’est quelque chose de moi qui est parti».
En 1928 Jouvet fait appel à Pierre Renoir qui n’est pas membre de la troupe pour interpréter le rôle principal, celui du Conseiller Siegfried dans la pièce de Giraudoux. C’est un triomphe, la pièce fera salle comble jusqu’à la fin de la saison et lèvera les doutes de Jouvet qui disait » Nous ferons peut-être cinq représentations! Mais je ne regrette pas d’avoir monté la pièce ».
André Antoine écrira : » Pierre Renoir que l’on avait pas vu sur scène depuis si longtemps restera inoubliable dans le rôle de Siegfried ». La presse regorge d’appréciations toutes plus élogieuses les unes que les autres.
Le 8 mai 1929, Louis Jouvet nomme Pierre Renoir assistant du directeur de la Comédie des Champs Elysées et avant son départ en vacances Jouvet lui adresse un courrier .
« Adieu vieux Pierre, il y a toutes sortes de choses que je veux toujours te dire et que je n’écris jamais – tu les entends – et puis il vaut mieux ne pas se faire trop de déclarations. Celle des droits de l’homme n’a jamais avancé grand chose. Je t’embrasse . Ton frère Louis »
Michel Simon, Jean-louis Barrault dans Drôle de drame
François Michel Simon (de son vrai nom) est d’abord destiné à reprendre la charcuterie de son père. N’ayant que faire de cet avenir tout tracé, il décide très tôt de quitter ses études et sa famille pour gagner Paris. De clown à danseur en passant par acrobate, professeur de boxe et photographe, il va alors tour à tour exercer les petits boulots les plus improbables. Dès son plus jeune âge, l’artiste en herbe a une grande passion : la littérature. Une adoration qui l’amène à dévorer tous les livres qui lui tombent entre les mains, et à nourrir une fascination pour la complexité de l’être humain.
Marcel Achard réussit à faire engager Michel Simon par Louis Jouvet, à force de persévérance… Il obtient le 12 octobre 1927, un grand succès au théâtre avec Leopold le bien-aimé. Son interprétation de « Cloclo », dans Jean de la Lune de Marcel Achard, en 1929, (rôle qu’il reprendra au cinéma deux ans plus tard) est unanimement acclamée. Après avoir fait une tournée en Afrique du Nord en y jouant le rôle qui fit de lui un artiste dans le théâtre parisien. C’est à son retour, que Michel Simone incarne Jean de la Lune (1931) mise en scène par Jean Choux avec Madeleine Renaud et René Lefèvre. Ce fut un énorme succès commercial.
Entre 1920 et 1975, Michel Simon va jouer dans pas moins de 55 pièces et 101 films, il tournera avec Jouvet dans 2 films :
Carné rappelle dans ses mémoires que le tournage se passa dans la bonne humeur et les fous rires à tel point qu’avait été installée une « boîte à rires » dans laquelle celui qui riait pendant une prise devait mettre une pièce, comme durant la scène d’ivresse entre Barrault-Kramps et Simon-Chapel dans laquelle Barrault n’en pouvait plus des facéties de Simon. Mais il y avait aussi cette fameuse tension entre Louis Jouvet et Michel Simon qui, eux, se détestaient copieusement. Il faut dire que quelques années auparavant Michel Simon avait triomphé dans la compagnie de Louis Jouvet dans la pièce de Marcel Achard, Jean de la lune. On raconte qu’un jour Louis Jouvet dit à Michel Simon : « votre rôle est admirable », ce à quoi Simon a répondu : « je sais j’ai refusé le vôtre ». Ambiance !
Et puis il est impossible de ne pas revenir sur les circonstances dans lesquelles a été tournée la fameuse scène du « bizarre… bizarre ». Chacun avait fait le pari de soûler l’autre. Pari évidemment réussi, les deux acteurs passant la journée assis à tourner les prises avec du vrai champagne. A la fin de la journée, chacun titubait et Jouvet alla tout de même jouer au théâtre une pièce dans laquelle Carné raconte qu’il fut excellent. Toute l’équipe était persuadée d’avoir fait un bon film, ils y avaient cru. Jean-Louis Barrault dira plus tard qu’ils avaient sans doute fait un vrai film d’avant-garde en ce sens où ils étaient en avance sur le public. Il fallut en effet attendre 1951, date de ressortie du film, pour que Drôle de Drame soit accepté et plébiscité par le public et devienne le classique que l’on connaît.
Extraits de Par
– le 28 octobre 2006http://www.dvdclassik.com/critique/drole-de-drame-ou-l-etrange-aventure-du-docteur-molyneux-carne
Julien Duvivier reforme, dans un hospice, « la belle équipe » théâtrale du temps jadis. D’une noirceur mortuaire, ce monument crépusculaire du cinéma français d’avant-guerre repose méritoirement aux côtés des œuvres majeures de Renoir et Carné.
Victor Francen, Louis Jouvet
L’abbaye de Saint-Jean-la-Rivière menace de fermer ses portes. Ce qui serait une véritable catastrophe pour ses pensionnaires, tous de vieux comédiens sans ressource. Saint-Clair, acteur autrefois adulé et grand séducteur de femmes, vient justement d’y arriver et y retrouve Marny, grand rival dont il avait jadis séduit la femme, et Cabrissade, artiste de second ordre.
est né le 8 septembre 1910 au Vésinet, dans les Yvelines, et mort le 22 janvier 1994 à Paris; comédien, metteur en scène et directeur de théâtre français.
Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault
Jean-Louis Barrault tourne une cinquantaine de films entre 1935 et 1988. Il est révélé par Marcel Carné qui lui confie le rôle de William Kramps, dit « le tueur de bouchers », dans ce classique de la comédie policière qu’est devenu Drôle de drame (1937), adaptation dialoguée par Jacques Prévert (« Bizarre, vous avez dit bizarre… »). Barrault arrive à s’imposer face à Michel Simon et Louis Jouvet et s’avère très drôle dans ses séquences de séduction de Françoise Rosay. Son jeu halluciné, très théâtral, marque clairement l’influence de la scène.
De 1931 à 1940 au théâtre de l’Atelier, à la Comédie française, au théâtre Marigny, il jouera dans de nombreuses pièces mises en scène entre autres par Dullin, Copeau et Odéon-Théâtre de France. Son répertoire est immense, il poursuivra sa carrière en tant que comédien et metteur en scène aux théâtres:
Il jouera sa dernière pièce en 1987 : La Vie offerte de Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, Théâtre Renaud-Barrault.
Théâtre avec Jouvet
L’autre nuit, je rêvais de Jouvet. Il m’arrive souvent de rêver de personnes que j’ai aimées véritablement. Nous étions très près l’un de l’autre, lui me dépassait d’une demi-tête, comme lorsqu’il était vivant, et nous pleurions l’un et l’autre, de cette façon particulièrement déchirante que l’on a de pleurer, quand on rêve. Des pleurs aigus, comme deux enfants…. La suite voir le lien ci-dessous
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Jean-Pierre Aumont Drôle de drame
de son vrai nom Jean-Pierre Philippe Salomons, est né le 5 janvier 1911 dans le 9e arrondissement de Paris et décédé le 30 janvier 2001 à Gassin.
Son oncle, Georges Berr, fut un grand comédien, professeur au Français et coauteur, avec Louis Verneuil, de plusieurs pièces. Faut-il croire à l’atavisme ? Toujours est-il que l’enfant découvre le théâtre dès sa dixième année grâce à sa grand-mère qui l’emmène régulièrement aux matinées classiques de la Comédie Française. Lors d’une représentation d’«Andromaque» interprété par De Max, il ressent une vocation et décrète définitivement qu’il sera comédien. Sous la menace, il “engage” son petit frère, peu concerné et manquant d’enthousiasme, comme répétiteur pour lui donner la réplique dans les tragédies de Racine et de Molière !
Il fit « naturellement » le Conservatoire, où Louis Jouvet le remarqua et le fit débuter sur scène au théâtre des Champs-Élysées dans le rôle d’un jeune prof d’anglais. Jean Cocteau, fin connaisseur de beaux blonds aux yeux bleus, lui confie le rôle d’Œdipe dans sa Machine infernale en 1934. Mais c’est surtout le cinéma qui le repère: après une brève prestation dans Jean de la Lune de Jean Choux.
Au cinéma il tourne avec Jouvet dans Hôtel du nord et Drôle de drame (lien vers extrait ci-dessous)
http://www.vodkaster.com/extraits/drole-drame-eva-je-vous-aime/91335
Lecture d’une lettre de Jean Cocteau par Jean Pierre Aumont
Extraits de Le Soleil et les Ombres de Jean-Pierre Aumont
Création de La Machine Infernale de Jean Cocteau:
Aumont interprète Oedipe en 1934 à la Comédie des Champs-Elysées
[…] Pendant les répétitions, Jouvet m’avait rabroué, rudoyé, torturé. Le soir de la générale, quand je sortis de scène, après ma rencontre avec le Sphinx, les applaudissements crépitèrent longuement.
En coulisse, Jouvet vérifiait les éclairages. Je me plantais devant lui, attendant un compliment. Il faisait semblant de ne pas me voir. Je ne comprenais pas. J’étais là, haletant, espérant un mot. Les applaudissements continuaient. Il s’obstinait à ignorer ma présence. n’y tenant plus, je lui saisis le bras, et lui criai:
-Alors?
Il me regarda enfin, et me répondit, tout doucement:
-Alors, mon petit gars, tâche de refaire tous les soirs consciemment, ce que tu as fait ce soir, inconsciemment.
Entre le troisième et le dernier acte, il y avait un changement à vue, et je n’avais guère de temps pour me coller une barbe et me vieillir de vingt ans. C’était Jouvet qui me servait de maquilleur. Lui encore qui m’engluait les joues d’hémoglobine quand Oedipe rentre en scène, après s’être crevé les yeux.
La soirée s’acheva sur un triomphe. Oubliant mon costume, ma barbe, mes yeux crevés, le sang qui ruisselait sur mon visage, la tragédie que nous venions de jouer et l’émotion des spectateurs, je saluai en souriant de toutes mes dents. « Ne souris pas, imbécile », me souffla Jouvet.
C’est environ deux ans avant La Machine Infernale que je m’étais présenté à Louis Jouvet. A cette époque, il jouait Amphitryon 38 à la Comédie des Champs-Elysées.
Sur la pointe des pieds, je m’aventurai dans le réduit attenant au plateau. Par bouffées, la musique de Giraudoux parvenait jusqu’à moi.
[…] J’attendais, immobile, envoûté, comblé. Je comprenais que ces sortilèges, ces textes, cette lumière et cette pénombre seraient à jamais mon univers, ma joie, ma vie.
Jouvet sortait de scène. Tout était bleu en lui. Vêtu de la cape et du bonnet de Mercure, l’œil plus bleu encore que son costume, souriant avec ironie mais aussi déjà avec tendresse, il me tutoya avant de me dire bonjour:
-Qu’est-ce que tu travailles en ce moment?
–On ne badine pas avec l’amour… vous savez… d’Alfred de Musset.
-Pourquoi pas! Et qu’est-ce que tu penses de Perdican?
Je perdais pied, j’avais préparé un discours pour lui dire mon estime et mon admiration, mon désir aussi de travailler avec lui, et voilà que, sautant toutes formules de politesse, il me demandait à brûle-pourpoint ce que je pensais de Perdican! J’étais incapable de répondre. J’étais rivé à l’œil bleu de Jouvet, j’avais envie de pleurer, il enchaîna:
-Je vois… Tu ne penses pas grand chose de Perdican, ça ne fait rien mon p’tit gars, ça ne fait rien, reviens me voir demain.
Le lendemain, il nous engagea, Janine Crispin et moi, pour jouer avec sa troupe Le Prof d’Anglais de Régis Gignoux. Ah! comme je l’aimais déjà!
Vingt ans plus tard je l’appelais encore « Monsieur ». Lui continuait à m’appeler « mon Jean-Pierre qui ressemble tant à mon Jean-Paul » (Jean-Paul était son fils, plus jeune que moi de quelques années). Je lui disais « vous », et il me tutoyait, je lui témoignais de la déférence, et il me flanquait des claques. […]
Extraits de
Le Soleil et les Ombres
Jean-Pierre Aumont
Laffont
1976
est né à Buenos Aires le 11 janvier 1916 (Argentine) et mort à Saint-Cloud le 29 mars 1989.
Sa famille résidant alors en Argentine où son père, biologiste à l’Institut Pasteur, était en mission. Il réalise ses études à Paris au lycée Condorcet avant d’intégrer le cours d’art dramatique chez Julien Bertheau et Raymond Rouleau. C’est ce dernier qui le fait débuter à l’écran en 1937 dans « Trois, Six, Neuf. Refusé trois fois au conservatoire Bernard Blier rencontre Louis Jouvet qui lui donnera deux précieux conseils : toujours persévérer et accepter de tout jouer plutôt que de ne rien jouer du tout…
Bernard Blier et Jouvet se reposent durant le tournage de quai de orfèvres
Finalement reçu au conservatoire il entre dans la classe de Jouvet sur les conseils duquel il multiplie les rôles au théâtre : « Mailloche « , » l’Amant de Paille »… jusqu’à ce que Marcel Carné lui confie un rôle important dans « Hôtel du Nord ». C’est au Conservatoire qu’il fait la rencontre de deux grandes personnalités qui resteront ses amis : François Périer et Gérard Oury. Il commence à s’imposer lorsque la guerre éclate.
1938 : Hôtel du Nord de Marcel Carné : Prosper, l’éclusier donneur de sang
Extrait d’hôtel du Nord : scène avec Bernard Blier et Arletty
https://www.youtube.com/watch?v=wbNs3CUMMDE
1938 : Entrée des artistes de Marc Allégret :Pescani, un élève du Conservatoire
https://www.youtube.com/watch?v=BBCl-ickEQw
1947 : Quai des Orfèvres de Henri-Georges Clouzot : Maurice Martineau, pianiste
Léo Lapara et Jouvet
Léo Lapara, Quai des orfèvres 1947
Léo Lapara est un comédien français né le 25 mai 1909 à Digne-les-Bains et mort le 3 septembre 1995 à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence). Régisseur et secrétaire de Louis Jouvet, il a publié en 1975 un livre de souvenirs : Dix ans avec Jouvet. Il a été marié successivement aux comédiennes Véra Clouzot (2) et Héléna Bossis. proche parmi les proches de Louis Jouvet, A Rio de Janeiro, il rencontre Louis Jouvet en tournée qui engage le comédien inconnu qu’est Lapara et celui-ci partage ainsi les quatre années de tournée en Amérique du Sud pendant lesquelles la culture française sera dispensée loin du vieux continent.
Lapara est à l’affiche du répertoire habituel de Jouvet : Léopold, le bien-aimé de Jean Sarment, L’annonce faite à Marie de Paul Claudel, Le Médecin malgré lui de Molière, etc. De retour à Paris Léo Lapara, ami fidèle, partagera les dernières années de la vie de Louis Jouvet jusqu’à sa mort , habitant chez lui à certaines périodes , quai Louis-Blériot. Son livre 10 ans avec Louis Jouvet témoigne de leur amitié. Léo Lapara fût non seulement le secrétaire de Jouvet, mais aussi son partenaire et son confident. Il nous l’évoque tel qu’il était avec ses qualités et ses travers ; il nous raconte ses relations orageuses avec les auteurs tels que Anouilh, Sartre, etc.Léo Lapara fût non seulement le secrétaire de Jouvet, mais aussi son partenaire et son confident.
En 1946, Jouvet a besoin de repos et de solitude, il accepte l’invitation de la comtesse Pastré d’aller passer ses vacances dans au château de Montredon sans emmener avec lui Monique Mélinand (3)…
Ce jeudi 18 (juillet 1946).
Mes petits jolis, mon lapin (surnom de Véra), mon léopard. J’écrirai un autre jour … Je suis si fatigué! Les cigales sont ahurissantes et j’ai envie de dormir irrésistiblement. Donnez des nouvelles. Aimez-moi bien parce que j’en ai bien besoin et parce que je vous aime bien, bien, bien.
» Le Patronminet. »
p.189
Le 24 cela fait huit jours que Jouvet a quitté Paris. Il est toujours sans nouvelles de Monique (Mélinand).
Montredon, 26 juillet,
Mon petit lapin
Ton petit quatrain
M’a fait du bien
Du bien!
Mais cette absence est nécessaire. Je travaille le Dom Juan
Avec lenteur et acharnement
[…]
Si Monique ne m’écrit rien.
Je suis une pauvre boussole
Qui perd le nord à chaque instant
[…]
Dis-moi qu’elle va bien, qu’il n’y a pas de drame sa famille…
[..]
» Comprends-moi. J’oscille entre l’angoisse et le dégoût. Je ne te raconte pas ma vie, elle est sans histoire . Je cherche à chaque fois que je peux à inoculer Dom Juan à Bébé(1) et j’en médite avec de plus en plus d’effroi à mesure que j’entrevois des choses que je n’avais pas encore supposées dans cette pièce qui est la plus grande que je connaisse.. »
Adieu. Je t’embrasse bien fort avec notre Léopard.
Ton Patronminet
Christian Bérard, Bébé
Prince sulfureux des nuits parisiennes, clochard céleste, Christian Bérard fut à la fin des années 20, l’ami de Christian Dior et d’autres couturiers qui s’amusaient, et parfois s’inspiraient, de ses tenues vestimentaires excentriques mais toujours élégantes. Ami et collaborateur de Serge Lifar, Louis Jouvet et Jean-Louis Barrault, ces deux derniers lui évitèrent la morgue, lorsque terminant un décor au théâtre Marigny en 1949, il s’écria « c’est fini ! » et tomba raide mort. Ces deux amis le ramenèrent alors chez lui au cinquième étage, le tenant sous les bras et faisant croire qu’il avait trop bu. Une sortie comme une ultime pirouette, raccord avec une vie bien remplie et partagée durant vingt ans avec Boris Kochno, ancien amant de Diaghilev dont il avait pris la succession à la tête des Ballets russes.
Jouvet avec Christian Bérard, Bébé
Véra Clouzot
Fille d’un diplomate brésilien, elle fait la connaissance en 1941 du comédien Léo Lapara, membre de la troupe de Louis Jouvet alors en tournée à Rio de Janeiro. Elle l’épouse peu de temps après et intègre alors la troupe pour une tournée en Amérique du Sud qui durera près de quatre ans avant de regagner Paris à la Libération. Elle continue à se voir confier des petits rôles par Jouvet qui a repris la direction du théâtre de l’Athénée.
En 1947, elle rencontre le réalisateur Henri-Georges Clouzot sur le tournage de Quai des orfèvres auquel participe son mari. C’est le coup de foudre. Clouzot l’engage comme scripte sur son film Miquette et sa mère (1949). Véra divorce de Lapara et épouse aussitôt Clouzot qui lui fait tourner ses trois uniques films : Le Salaire de la peur (1953), Les Diaboliques (1955) et Les Espions (1957). Le réalisateur fonde à cette occasion une société de production qu’il baptise Vera Films en l’honneur de sa femme.
Monique Mélinand
À 20 ans, après avoir effectué sa formation auprès de Raymond Rouleau, elle tente sa chance au Théâtre de l’Athénée où elle rencontre le grand metteur en scène Louis Jouvet. Elle y restera quatorze ans.
Devenue la compagne de Jouvet, elle l’accompagne en Amérique du Sud et en Amérique centrale dans son exil volontaire pour protester contre l’occupant nazi. Revenue en Europe, elle reste auprès de lui jusqu’à son décès survenu en 1951. Elle se joindra au Théâtre des Mathurins, ne quittant les planches que fort tard dans sa vie.
Il faut rappeler que la pièce de Jules Romains a été joué de nombreuses fois et renflouait les caisses de la troupe. Ceci est sans doute un coup d’humeur, les deux hommes s’appréciaient. A la mort de Jouvet Jules Romain pour Cinémonde dira. « Pendant plus d’un quart de siècle, et au total quelques milliers de soirées, la voix et le masque de Jouvet ont prêté leur éloquence, leur puissance de pénétration, à des phrases que j’avais écrites.
Jules Romain et Louis Jouvet
C’est là une dette énorme que j’ai envers lui. »
D’autres lettres et témoignages sur leur relation seront ajoutés dans la rubrique correspondance.
Léo Lapara…
[…] Donc, comme aimera à le rappeler Jouvet, nous subsisterons grâce, en partie, à la charité publique.
C’est pourquoi il l’aura « sec » quand le soir de l’unique représentation de M. Le Trouhadec saisi par la débauche, M. Jules Romains, au courant de nos difficultés, se substituera à la Société des auteurs […] et ira à l’entracte percevoir, lui à l’abri du besoin, dix pour cent de la recette brute […]. Pour Knock déjà, il avait agi de même. Jouvet avait « tiqué ». Mais enfin nous n’avions pas eu à « remonter » le spectacle. Il n’y avait que demi-mal. De la part de Jules Romains dont il connaissait la ladrerie, cela n’avait pas de quoi le surprendre. Mais qu’il lui refasse le coup avec Le Trouhadec, alors qu’il lui avait expliqué, en long et en large, que son montage et celui d’Electre viendraient à bout de nos ressources, ça, il ne pouvait le digérer!
Ce n’est pas de sitôt qu’il le lui pardonnera.
[…] Nous voudrions que cesse cette guerre froide. Timidement, nous nous hasardons:
– Patron, il nous semble que vous devriez…
– Ah! vous, fichez-moi la paix, compris? Comment? Nous nous saignons aux quatre veines pour remonter brillamment, pour une seule représentation, Le Trouhadec! Ça boulotte deux mois de défraiements pour une unique recette qui n’en couvre guère plus d’une semaine! Et vous voudriez que je sois aimable avec lui? Dites, dites, dites! Qu’il crève! Oui, parfaitement! Radin comme lui y en a pas deux! Tiens! Vous voulez que je vous raconte?. Quand j’ai monté Donogoo-Tonka au Pigalle », je jouais amphitryon 38 à la « Comédie ». Aussitôt la répétition de Donogoo terminée, je devais me grouillais pour gagner l’avenue Montaigne. Nous sortions presque toujours en même temps et descendions, tout en échangeant nos impressions, jusqu’à la Trinité. Là je prenais un taxi :
– Faisons route ensemble, me disait-il, la bouche enfarinée. Je vais plus loin que
Jules Romains
vous, je vous déposerai.
– Va te faire voir! Cinquante fois, il m’a fait le coup! En arrivant au rond-point, ça ne ratait pas! Toujours le même numéro de cirque :
– Tout bien réfléchi, je descend ici. Je poursuivrai à pied. Cela me donnera un peu d’exercice.
– Pas une seule fois, vous m’entendez , pas une seule fois, il ne serait venu avec moi jusqu’au théâtre. De peur d’avoir à régler le compteur. […]
Ah non il ne faut pas me parler de ce coco là! Son égoïsme me fait mal au ventre. Et son insensibilité à tout ce qui l’entoure, quand il n’est pas directement concerné! […] Mais pour ce qui est tendresse, générosité, poésie, vous repasserez! Pas poète pour un rond, que j’vous dis! Quand on a la chance de s’appeler Farigoule, quand on a un nom qui fleure bon le thym et le serpolet, on ne le change pas contre celui de Romains! Toujours sa soif de grandeur et de domination. S’il avait osé, il se serait appelé César! Soyez sûrs qu’il y a pensé. Ce qui a dû le retenir, c’est qu’avec Jules, ça risquait de faire un peu voyant. Et de faire rire. Sinon, croyez-moi….[…]
Léo Lapara -Dix ans avec Louis Jouvet p.122-124
Au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique à Paris en 1940. Professeur : Louis Jouvet ; Elève: Claudia.Mise en scène : Brigitte Jaques
Vous pouvez retrouver les leçons suivantes 3 ,4 ,5, 6, 7 sur Youtube
https://www.youtube.com/watch?v=0XXEEF5mD4c&w=560&h=315]
« L’École des femmes » de Molière, comédie en 5 actes et en vers.
Enregistrement audio réalisé en public au Colonial Theatre, Boston,Massasuchetts, États-Unis, le 16 mars 1951.
Durée : 2 heures.
PERSONNAGES ET INTERPRÈTES
Arnolphe…………………………..………..LOUIS JOUVET
(autrement M. de la Souche)
Agnès……………………………..…………DOMINIQUE BLANCHAR
(jeune fille innocente
élevée par Arnolphe)
Horace…………………………….………..JEAN RICHARD
(amant d’Agnès)
Alain……………………………..…………..FERNAND RENÉ
(paysan, valet d’Arnolphe)
Georgette………………………….……….MONIQUE MÉLINARD
(paysanne, servante d’Arnolphe)
Chrysalde………………………….……….LEO LAPARA
(ami d’Arnolphe)
Enrique……………………………………..GEORGES RIQUIER
(beau-frère de Chrysalde)
Oronte…………………………….…………PIERRE RENOIR
(père d’Horace et
grand ami d’Arnolphe)
Le notaire…………………………………..MICHEL ETCHEVERRY
Le clerc de notaire………………………RENÉ BESSON
Musique de scène de VITTORIO RIETTI
extrait du « théâtre en voyages » document d’archives de l’ORTF , disponible en triple cd aux éditions EPM (3h de documents d’archives)
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Sous cette rubrique figureront, les colloques, les hommages, les commémorations, les conférences qui ont eu lieu récemment et ceux à venir, autour de Louis Jouvet.
Vers Conférence, Louis Jouvet artisan de la scène
Charlotte Delbo
Vers hommage à Charlotte Delbo
Sylvie Dessus. PARIS. FRANCE. 2015/01/21.
[…] Dans cette œuvre mineure, produite le 1er janvier 1914, [Jouvet] fit sa marque comme acteur et obtint son premier succès retentissant. De plus, l’auteur dont il s’était instinctivement éloigné, le croyant trop formidable pour ses modestes talents, s’avéra être celui qui lui convenait le mieux et qui lui offrait les moyens d’attirer l’attention.
La Jalousie du Barbouillé était le véhicule parfait pour Jouvet; et avec ce matériau, il créa un des personnages les plus remarquables de son répertoire. […] En six brefs sketches, Jouvet incarnait dans le rôle du Docteur le pédant parfait, utilisant des effets comiques souvent purement grotesques, parfois classiques […]. La grande taille du docteur avait été exagérée et il était tour à tour volubile, bouffon, pompeux, guindé, et satisfait. Toutefois, le jeu de Jouvet restait naturel et convaincant, malgré les distorsions, aussi paradoxal que cela puisse paraître. L’auditoire répondait d’une façon qui était très agréable pour un acteur, non seulement en savourant l’interprétation avec plaisir et pur délice, mais aussi en y reconnaissant quelque chose de familier et en prenant part involontairement à l’action sur la scène.[…]
[…] Jouvet étudia minutieusement son rôle et le texte de la pièce. Il apparut sous les traits de Sir Andrew Aguecheek, […] et il était si amusant dans l’interprétation qu’il en donnait que Jacques Copeau dit à son sujet:
[…] Jouvet peut-être n’a jamais joué un rôle comique avec une plus savoureuse naïveté, avec plus de délicatesse ou de poésie. [Retraduit de l’anglais]
Avec ses rares dons de comique, Jouvet embellit le rôle de traits de génie. Parfois, Sir Andrew Aguecheek semblait être une marionnette effrayée, à d’autres moments lorsqu’il se tenait fièrement droit et digne, sa silhouette délicatement dessinée, on l’aurait pris pour un prince. La façon dont Jouvet interprétait le personnage, la voix constamment à bout de souffle, l’expression indécise de son visage, le dandinement de ses longues jambes lorsqu’il marchait, paraissait l’essence même de la puérilité et de la sottise, mais c’était une grande réussite de l’imagination créatrice. Il variait son interprétation lorsque, par exemple, son visage s’illuminait comme celui d’un clown avec un petit air espiègle; puis une tristesse l’envahissait, une prise de conscience révélatrice et mélancolique, de lui-même et de tout le mal qu’il y avait dans le monde.[…]
La Nuit des Rois fut acclamée par les critiques comme étant la production la plus remarquable du Vieux-Colombier. Elle rayonnait dans la mémoire avec une procession d’images inoubliables.[…]
[…] Jouvet incarnait Josselin, le pédant. Il interprétait son rôle d’une façon grave et solennelle. […] Lorsque Jouvet entrait, vêtu de noir, avec un chapeau pointu à large bord qui semblait accentuer l’inflexibilité de son caractère, des lunettes cerclées de noir, de minces sourcils qui faisaient pointer vers le haut son regard vide, et de longs cheveux raides, il était exactement ce qu’on attendait d’un pédant du XVIIe siècle. Dans ce rôle, il faisait grand usage de ses avant-bras dans une variété de gestes pour communiquer ses réactions au public. C’était une caractéristique courante chez Jouvet d’utiliser une partie de son corps, un bras ou une jambe, pour exprimer le sentiment de l’homme entier. Seul un grand mime peut arriver à faire cela convenablement; seul un spectateur sensible peut apprécier à sa juste valeur l’importance de cet exploit artistique […]
Jouvet tenait tout autant du clown que de l’acteur réaliste, et maintenant il possédait une telle maîtrise qu’il pouvait passer aisément de l’un à l’autre. En conséquence, avec sa mise en scène toute simple, La Coupe enchantée était vibrante, pleine de couleur et de fantaisie, tout en demeurant toujours fondamentalement réaliste, puisque le clown et le poète représentent tout deux la vie, à un niveau élevé de l’imaginaire. […]
[…] Knock-Jouvet était à son meilleur. En effet, ce rôle savoureux offrait des possibilités extraordinaires à l’acteur expérimenté. C’est dans ce rôle, plus particulièrement dans les scènes médicales, que Jouvet pu faire la démonstration qu’il était passé maître de son art.
Mais quel élément essentiel, pourrait-on demander, constituait l’excellence de son jeu dans le rôle du docteur Knock? Tout d’abord, Jouvet y mettait tant d’esprit et de vitalité qu’il créait immédiatement le moment dramatique entre auteur, public et acteur, et en maintenait constamment l’électricité pendant l’action, tout en révélant progressivement toutes les facettes du personnage de Knock. Considérons par exemple le visage du docteur Knock lorsqu’il examine un patient en parfaite santé. […] En faisant part de ses préoccupations pour l’état de santé d’un patient, il devait révéler de nombreux sentiments, chacun précis et distinct, mais jamais exagéré, dans un langage physique qui soit immédiatement clair pour le public. Et tout en exprimant l’éventail de sentiments de la fourberie rusée jusqu’à la persécution, il devait également paraître humain […] et son habileté devait éveiller chez le public un sentiment de sympathie amusée, et même de participation.
[…]
[…] Son apparence extérieure était calme; sa voix cependant était vibrante et forte, particulièrement dans la prière aux morts, et son jeu était d’autant plus efficace en raison de ces contrastes. Jouvet, qui personnellement détestait la guerre, se sentait si près du personnage que son identification personnelle lui apportait une force et une authenticité terribles. Puisqu’il parvenait à apporter les petits détails qui font qu’un personnage est reconnaissable pour le public, son jeu eut un impact remarquable et laissa une impression mémorable.[…]
[…] Jouvet était un Arnolphe enjoué, jubilant de tous les tours qu’il inventait. Par-dessus tout, il éprouvait un grand plaisir à s’imaginer en mari exceptionnel dont la femme ne serait jamais infidèle. Il était bien trop perspicace, croyait-il, pour qu’on puisse le tromper. […] il était délicieusement amusant pour le public dans sa façon de se bercer d’illusions et de s’abuser lui-même. Cette façon de présenter le personnage était entièrement à l’opposé de la conception de ses prédécesseurs. Jouvet jouait Arnolphe comme un homme de bonne humeur et presque férocement gai.
Les rires l’accueillaient dès qu’il entrait en scène en se pavanant. Malgré la qualité funambulesque de la pièce, les brefs échanges, les brusques départs, les intermèdes au village, les apartés au public, Jouvet gardait toujours tous les éléments en équilibre, et avec une brillante agilité arrivait à maintenir le ton et la poésie des dialogues. Il donnait à Paris quelque chose de complètement Molièresque, un mélange heureux de farce et de haute comédie.
Il y avait également une grande variété dans le jeu de Jouvet. Son Arnolphe était constamment en mouvement, et il avait un large éventail de gestes révélateurs et amusants. Ses yeux fascinaient le public, et il en changeait l’expression de façon brillante et variée. A un moment, ils étaient rieurs, à l’autre, ils étaient intenses; puis une nouvelle surprise, ils devenaient désespérés, et à nouveau l’expression de ravissement à ses excès d’entrain et au plaisir de ses plans et stratagèmes ingénieux.
Tous les accessoires de la pièce renfermaient une signification subtile. La canne de Jouvet par exemple, […] révélait clairement ce qui était sous-entendu et qu’il n’avait nul besoin de dire; c’était un accessoire de pantomime. Il s’y appuyait lorsque fatigué; il le laissait tomber quand il était malheureux. Dans un accès de colère, il jetait son mouchoir, et dans un moment d’angoisse, y cachait son visage. Il utilisait ces accessoires pour porter les élans de sentiment au-delà de son être physique. […]
Jouvet comprenait ce personnage si parfaitement et le rendait si bien qu’il n’avait jamais besoin de se servir d’artifices théâtraux ou de stéréotypes dans aucune représentation.[…] Sa diction était toujours claire et précise, finement articulée, malgré une versification difficile.[…]
[…] Jouvet incarnait le rôle du Mendiant inspiré par Dieu. Dans une langue remplie d’images et d’ironie, il commentait les actions de ses semblables, tout en sondant leurs pensées les plus secrètes, pour finalement leur faire de sinistres prédictions. Ce rôle s’apparentait à celui du chœur de l’Antiquité.
Le corps ascétique et fatigué de Jouvet lui conférait la mystérieuse autorité de celui qui possède des pouvoirs plus qu’humains. Chaque fois qu’il parlait d’événements, ses yeux se perdaient dans l’infini et semblaient envisager quelque désastre prochain. […]
Jouvet disait ses répliques dans un style fortement saccadé. En interrompant la dernière voyelle en fin de phrase, il en limitait la résonance et imposait un rythme particulier à son émission vocale. Ceci donnait à certaines répliques une qualité incantatoire qui rappelait la façon dont on faisait autrefois les déclarations solennelles. Pour varier l’effet, Jouvet adoptait parfois une voix chantante, et cela ajoutait une qualité ritualiste au texte. […]
[…] Lorsque Jouvet entrait en scène au début de la pièce, sa voix était rude et guerrière, révélant un manque de délicatesse et de sensibilité. C’était un être vaniteux, sans être fondamentalement cruel, et assez puéril. Il aimait la guerre pour les opportunités qu’elle lui offrait. Après être tombé amoureux d’Ondine, un lent changement s’opérait dans son caractère, comme s’il subissait l’influence de quelque tendre magie. Il devenait doux, parlant à mi-voix: « La voix quitte rarement une note pivot, et reste dans les limites d’une tierce. Les syllabes sont d’égale durée. » […]
[…] Quand Jouvet entra en scène dans ses cuissardes noires ce premier soir, il avait l’air sombre, énigmatique, hanté et pourtant doté d’une sensualité irrésistible. Mais la sensualité n’était pas l’élément que Jouvet tenait particulièrement à souligner. Dom Juan n’était plus un homme désiré par les femmes, mais un homme seul, trop indépendant et ayant une intelligence trop corrosive pour se soumettre aux volontés de Dieu ou des hommes […]. Jouvet donnait à ce héros une anxiété sous-jacente qui aurait convenu à un héros profondément religieux. […] [Dom Juan] ne niait pas Dieu, mais il le fuyait. Cette approche de Dom Juan était complexe, moderne et pourrait-on dire, psychanalytique. Afin d’incarner cet homme profondément troublé, Jouvet utilisait de façon experte les expressions de son visage. Ses yeux bleu vert, pleins de défi, changeaient constamment d’expression, reflétant à certains moments l’arrogance du noble Espagnol, à d’autres, la peur de l’homme pourchassé, hanté par le doute et tâtonnant à la recherche du tangible, constamment en colère devant la futilité de la vie, et effrayé par sa propre impuissance.
[…] Ses regards implacables quand il tournait lentement autour d’Elvire, ses rires de dérision, dans les scènes du mendiant et des paysannes […], et tous ses maniérismes servaient à dramatiser le combat qui se déroulait, sous le couvert des attitudes qu’il prenait, entre ses différents ‘moi’ contradictoires. […]
Extraits tirés de
Louis Jouvet: Man of the Theatre
Par B.L. Knapp
Columbia University Press
1957
Traduction: Sylvie Levesque
Paris, Émile-Paul Frères Éditions, 1952 – Album in-4 broché, 21 cm x 27 cm, 98 pages – Préface de Jean-Louis Barrault – Notice biographique de Claude Cézan – Photos N&B hors-texte de Lipnitzki
L’autre nuit, je rêvais de Jouvet. Il m’arrive souvent de rêver de personnes que j’ai aimées véritablement. Nous étions très près l’un de l’autre, lui me dépassait d’une demi-tête, comme lorsqu’il était vivant, et nous pleurions l’un et l’autre, de cette façon particulièrement déchirante que l’on a de pleurer, quand on rêve. Des pleurs aigus, comme deux enfants.
Préface de Jean-Louis Barrault
La cause de ce chagrin était qu’on voulait lui arracher l’Athénée; on voulait le chasser de son théâtre. Au réveil, mais encore dans un demi-sommeil, je me demandais si ce chagrin n’était pas encore réel et si, dans un endroit inimaginable, Jouvet n’était pas en train de pleurer parce qu’on l’avait chassé de son théâtre. Pour le consoler je lui parlais et il me revenait vaguement à la mémoire ce que j’avais essayé de lui dire si péniblement le jour de ses obsèques. Je lui disais:
« Vous savez bien que vous continuez de vivre en nous, vous savez bien que le monde du théâtre est comme une famille, une famille d’élection. Vous savez qu’on ne vit pas impunément aussi imbriqués les uns dans les autres sans qu’il se forme certaines fibres qui nous empêchent de nous séparer. Les affres, les joies, les sentiments créés que nous épuisons d’un seul souffle, nous amalgament, nous apparentent. Ce mystérieux et sublime métier qui prend ses sources dans l’amour: amour partagé dans la salle, amour échangé sur la scène, intensifie encore notre puissance d’amour, resserre encore nos liens entre vous et nous. Depuis que vous nous avez quittés, chacun, je le sais, entretient en lui-même un sentiment d’amour pour vous.
« C’est que dans notre communauté, vous étiez notre chef de famille, vous étiez le véritable représentant de notre profession, le symbole même du théâtre, la plus belle, la plus noble, la plus intelligente, la plus captivante représentation humaine qu’on puisse approcher dans l’art dramatique de notre pays, et, sans nul doute, du monde entier.[…]
[…]
« Il fallait vous voir vous saisir d’un texte. Comment vous le suciez mot après mot, comment vous l’assimiliez, le pénétriez, le forciez. Puis vous le ruminiez longtemps, instinctivement, amoureusement. Soudain, vous le décortiquiez, vous l’étaliez devant vous, pièce par pièce, vous vous en imprégniez et peu à peu vous arriviez à le respirer; et ce n’est quelquefois qu’après plusieurs années, lorsque vous vous sentiez capable de le recréer littéralement que vous vous permettiez de le présenter. N’avez-vous pas incubé pendant quinze ans « L’École des femmes« ?
C’est par ce travail d’élimination, de choix constant, que vous arriviez à donner à vos spectacles une densité et une irradiation exceptionnelles. C’est avec une telle somme de travail, une telle variété de recherches, une telle exigence dans la dissection et dans l’invention, que vous chargiez, comme « électriquement », vos représentations. Aussi chacune de vos nouvelles créations projetait-elle une force inusitée.
[…]
« Nous nous souviendrons aussi du très grand acteur que vous étiez: de Knock bien sûr, d’Arnolphe surtout, de Dom Juan et dernièrement de votre Tartuffe hallucinant. Mais aussi nous nous souviendrons du Jouvet aérien, charmant, funambulesque que vous étiez dans le « Prof d’Anglais ». Jamais votre présence en nous ne s’effacera de notre mémoire. Comme l’homme de théâtre, l’acteur était complet.
[…]
« Mais nous nous souviendrons surtout de vous parce que de même que l’Art atteint sa perfection quand on ne sait plus si c’est de l’art, de même vous dépassiez le cadre du théatre et vous atteigniez l’humain. Car vous étiez essentiellement un être d’amour: l’amour constant, l’amour âpre, torturant, torturé, dévorant, réglant vos conduites, vos élans, vos retraites, vos morsures, vos jalousies, vos générosités, votre solitude aussi, votre inquiétude. Tout cela était dicté par le seul amour.[…] »
[…]
Ainsi, tandis que je me réveillais, il me semblait lui parler pour le consoler; mais bientôt se superposa dans mon esprit une réponse que Jouvet m’aurait certainement faite. « Le théâtre, m’aurait-il dit, je le considère à présent comme un simple guignol d’enfants, tout cela n’avait aucune importance et j’ai trouvé enfin une sérénité complète… »
Toute notre jeunesse a été formée, étayée et protégée par trois hommes: Jacques Copeau Charles Dullin et Louis Jouvet. Chacun de ces hommes apportait son enseignement particulier qui correspondait à sa propre nature. Copeau nous enseigna les lois, Dullin nous inocula la passion, Jouvet en éprouva constamment la résistance.
[…]
Ce que nous enseignait Jouvet, c’était la foi par le doute, l’invention par le scrupule, la joie d’exercer son métier par l’inquiétude. Et ce qui nous rendait l’enseignement de Jouvet si fort, c’est que Jouvet travaillait sur lui-même comme il travaillait sur les autres. Jouvet payait comptant. Jouvet passa sa vie à s’éprouver lui-même.[…]
[…] Il est vrai qu’il avait l’art de démolir les faibles, et c’était une excellente méthode. Pour lui, les faibles n’avaient rien à voir avec ce métier qu’il avait choisi. Le métier du théâtre, s’il sert un art des plus grands qui soient, s’exerce bien souvent dans la profession la plus absurde. Et il était bon qu’un maître comme Jouvet nous enseignât à ce point le scrupule. Il renonçait à paraître le poète et l’artiste qu’il était authentiquement.[…]
[…] Jouvet souffrit toute sa vie. On le sentait souvent seul, bien qu’il fût entouré d’affections les plus fidèles et les plus exceptionnellement dévouées. Il était jaloux, il s’imaginait qu’on le trompait, qu’on le trahissait, qu’on l’abandonnait. Ses critiques étaient affectives, brutales, mais elles avaient toujours l’accent de l’amour blessé, aussi les comprenait-on, aussi étaient-elles pour nous des critiques fécondes. C’est que, au fond de lui, il y eut toujours un enfant persistant et je crois bien que cet enfant, que Jouvet était resté, vécut presque toute sa vie dans la peur.
La peur est un sentiment très valable. Plus on est sensible et intelligent, plus on pénètre dans l’obscurité des choses, et plus il est normal d’avoir peur. Jouvet vécut dans la peur de la mort comme dans la peur de se tromper. Et quel courage il faut, et quelle passion aussi, pour s’obstiner à s’exposer, alors que, par sensibilité exceptionnelle, on vit constamment dans la peur. C’est cette peur, ce doute, cette inquiétude qui consumèrent Jouvet.
[…]
La disparition de Jouvet a fait de notre profession une sorte de famille d’orphelins. Nous aurions tant voulu que Jouvet vive encore longtemps, non seulement parce que nous l’aimions et parce que c’était l’un des êtres les plus attachants qui soient, mais aussi parce que tant qu’il vivait nous avions une mentalité de fils, nous pouvions considérer qu’on avait le temps encore d’apprendre beaucoup de choses. Aujourd’hui qu’il a disparu, on a cette impression pénible d’être trop jeunes pour assumer la responsabilité de gérer une entreprise trop grande pour nous. […]
Extraits tirés de
Images de Louis Jouvet
Préface de J.L. Barrault
Editions Emile-Paul Frères
1952
Drôle de drame -Louis Jouvet
Jean-Louis Barrault né en 1910, Louis Jouvet en 1897, Ils auront tourné 2 films ensemble en 1937 – Drôle de drame et Salonique nid d’espion
Au théâtre en 1949 – Les Fourberies de Scapin
Drôle de drame : Louis Jouvet et Jean-Louis Barrault – William Kramps, le tueur de bouchers
Drôle de drame – Jean-Louis Barrault
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