Bérard Christian (1902 – 1949) collaboration avec Louis Jouvet

Christian Bérard, décorateur

La Belle et la bête de Jean Cocteau
Christian Bérard est né le 20 août 1902 à Paris. Si son nom vous semble inconnu, vous connaissez certainement son œuvre à travers sa contribution la plus marquante au cinéma en tant que décorateur du film La Belle et la bête de Jean Cocteau en 1945.
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Un extraordinaire talent d’illustrateur et de décorateur, une personnalité hors du commun, fantasque et nostalgique, ont assuré la notoriété de Christian Bérard. Ses amitiés avec les personnalités du théâtre, du ballet, de la mode et de la littérature, ses travaux d’illustrateur, sa vie mondaine et affective très animée ne l’ont pas empêché d’effectuer, parallèlement, une carrière de peintre pour des compositions et des portraits insolites, parfois pathétiques, qui situent son œuvre aux confins du surréalisme.
Lié d’amitié avec Jean Cocteau, Bérard aborde grâce à lui la création théâtrale : son premier décor est destiné à la mise en scène de La Voix humaine de Cocteau à la Comédie-Française (1930). Très introduit dans le groupe des Ballets russes, grâce à Boris Kochno, secrétaire de Diaghilev, il se familiarise avec le climat insouciant et inventif d’une certaine bohème élitiste.
Extraits de Christian Bérard – Encyclopædia Universalis
Dès le début de sa carrière, Christian Bérard est attiré par le théâtre dont il deviendra l’un des principaux créateurs de décors et de costumes au cours des années 1930 et 1940. Il travaille dès 1930 en étroite collaboration avec Jean Cocteau et Louis Jouvet pour lesquels il réalise entre autres les costumes et/ou les décors en 1930 du ballet La Nuit de Cochram à Manchester, musique de Henri Sauguet, en 1932 du ballet Cotillon, chorégraphie de George Balanchine, de La Machine infernale (1934), L’École des femmes (1935), Renaud et Armide de Jean Cocteau (1943), Sodhome et Gomorrhe de Jean Giraudoux (1943) , La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux (1945), Les Bonnes de Jean Genet (1947) et Dom Juan de Molière (1948), sa contribution la plus célèbre demeurant en 1946 la conception des décors et des costumes du film de Jean Cocteau , La Belle et la Bête. Après avoir collaboré ponctuellement avec Vogue, il débute en 1935 une relation de travail fidèle avec ce magazine, relation qui se poursuivra jusqu’à Noël 1948 peu avant sa mort. Il est également proche de Carmel Snow , magazine de mode américain Harper’s Bazaar pour lequel il réalise des illustrations. Il fera la couverture d’un prestigieux numéro hors série de l’édition française de Vogue, diffusé immédiatement après la Libération. Il dessine d’un trait le célèbre tailleur « Bar » peu après, et participe à la décoration de la nouvelle boutique Dior avenue Montaigne.
Les encres, gouaches et techniques mixtes aujourd’hui dispersées témoignent de l’inlassable créativité de Bérard qui consacra sa vie à la scénographie, à l’illustration (œuvres complètes d’Arthur Rimbaud) et à la peinture (Portraits de René Crevel – Musée National d’Art Moderne).
Il mêla dans ses décors esprit et fantaisie, réintroduisant des paravents décoratifs, peints par ses soins et employant à contre courant des corniches, des fausses frises, des trompe-l’œil : on trouve chez Bérard une subtilité dans le choix des couleurs, une maîtrise et une imagination poétique dans le traitement du sujet comme l’illustrent les gouaches pour La Folle de Chaillot, La Coupe enchantée , La Folle journée ou la série d’encres de chine pour Don Juan.
Victime d’une embolie cérébrale, Christian Bérard meurt subitement le 12 février 1949 au théâtre Marigny pendant la présentation de son décor des Fourberies de Scapin de Molière mise en scène par Jouvet pour la compagnie de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault.

Au 2 rue Delavigne Paris 6ème, Chez Christian Bérard, gouache par Alexandre Sérébriakoff.
Louis Jouvet et Jean-Louis Barrault lui évitèrent la morgue, lorsque terminant un décor au théâtre Marigny et donnait des explications aux machinistes qui plantait son décor, il se leva, bâtit des mains , et s’adressant aux ouvriers il s’écria « c’est fini ! » et tomba raide mort.
Mort dans un lieu public, son corps d’après la loi, devait être transporté à la morgue. Mais Barrault et Jouvet qui se trouvaient avec lui, décidèrent de le ramener alors chez lui au cinquième étage. Le tenant sous les bras et le faisant marcher pour faire croire qu’il avait trop bu le montèrent jusqu’à son appartement dans le 6ème arrondissement de Paris. Une sortie comme une ultime pirouette, raccord avec une vie bien remplie et partagée durant vingt ans avec Boris Kochno, ancien amant de Diaghilev dont il avait pris la succession à la tête des Ballets russes.
Christian Bérard, décors/costumes avec Louis Jouvet au théâtre
La première mise en scène d’œuvre dramatique, qui permit à Bérard de déployer ses dons innés de décorateur de théâtre, fut celle de la pièce de Jean Cocteau, La Machine infernale, montée par Louis Jouvet en 1934 à la Comédie des Champs-Élysées. C’est sur l’instigation de Cocteau que Jouvet avait demandé à Bérard les décors et costumes de cette pièce. Il n’avait jamais rencontré Bérard, et au début de leur travail commun, il observait avec appréhension ce barbu exubérant qui ne ressemblait en rien aux collaborateurs de ses spectacles précédents. Il était évident que Jouvet, travailleur méticuleux et pondéré, pouvait être désemparé.
Jean COCTEAU : « De l’entêtement à la plus grande ouverture… »
Lorsque Jouvet me demanda La Machine infernale, je lui parlai de Christian Bérard. Bérard venait, du premier coup, de prouver sa maîtrise à la Comédie-Française avec La Voix humaine. Jouvet ne voulut rien entendre, sous prétexte que Bérard ne présentait aucune maquette, qu’il se contentait de griffonner sur des nappes.
Mais Jouvet n’était pas long à comprendre. Il passait de l’entêtement à la plus grande ouverture. Je ne lui imposai pas Bérard. Je l’emmenais avec moi. Jouvet l’écoutait parler, raconter décors et costumes.
L’entreprise de séduction passa mes espérances. Après une semaine, Jouvet ne quittait plus Bérard, l’appelait par son surnom, le consultait pour toute chose, grande ou petite. Et cela dura jusqu’à ce que les deux hommes se séparassent et se rejoignissent par les secrètes machineries de la mort. Jean Cocteau
A la Comédie des Champs-Elysées
1934 : La Machine infernale de Jean Cocteau, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.

Christian Bérard – La machine infernale – Cocteau
Cocteau avec Bérard, imagine un dispositif scénique placé sur une petite estrade pour réduire l’espace et insister sur le piège. Il renoue ainsi avec son enfance lorsqu’il se servait de boites en carton pour inventer des pièces dans sa chambre, « théâtres qui me faisaient bénir la fièvre excitante des rougeoles, des scarlatines et de l’appendicite. »
Au Théâtre de l’Athénée
1936 : L’École des femmes de Molière, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.

L’Ecole des femmes – Bérard /Jouvet
L’interprétation et la mise en scène de Jouvet ont marqué toute une génération de metteurs en scène dont Antoine Vitez ou Giorgio Strehler. « Jouvet y jouait encore sur la mécanique, sur le pantin. Ce vieillard emperruqué, à tête de clown, couvert de rubans et de fanfreluches, il nous le présentait, d’emblée, comme une marionnette. […] Puis, progressivement, la marionnette se défaisait, par sursauts, et les rires se figeaient en de longs, douloureux et burlesques hoquets » (Bernard Dort). Le décor mobile imaginé par Christian Bérard a également marqué l’histoire. Le double décor de la pièce, conçu par Christian Bérard, représentait un jardin qui s’ouvrait et s’avançait vers les spectateurs. il a imaginé un décor mobile : une maison dont les murs d’enceinte peuvent s’ouvrir pour laisser voir le jardin de la maison d’Arnolphe. Ce décor transformable permet ainsi de conserver l’unité de lieu tout en rendant la situation plus vraisemblable : Agnès ne sort pas dans la rue, tandis que l’accès de la maison est en effet interdit à Horace.
Yves Mathieu-Saint-Laurent assiste à une représentation de L’École des femmes de Molière avec Louis Jouvet, décors de Christian Bérard. Il découvre une passion pour le théâtre qui ne le quittera jamais. La Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent a acquis des costumes de cette production mythique.
« J’ai compris instantanément que j’avais assisté à une œuvre de génie et quoi que j’aie pu voir depuis, jamais rien n’a égalé cela. » dira Yves Saint-Laurent.
1938 : Le Corsaire de Marcel Achard, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.

Le Corsaire de Marcel Achard, décors de Christian Bérard
La pièce, au succès mitigé, avait débuté le 24 mars 1938 au théâtre Athénée avec Louis Jouvet et Madeleine Ozeray sur une musique de Vittorio Rieti, et des costumes et décors par Christian Bérard.
1939 : La Jalousie du barbouillé de Molière, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors C.B.
1945 : La Folle de Chaillot de Jean Giraudoux, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors CB

La Folle de Chaillot encre de Chine de Christian Bérard
La Folle de Chaillot, considérée comme le testament de Jean Giraudoux, remporta un succès exceptionnel. Outre le texte, la mise en scène, l’interprétation, les décors et les costumes firent l’objet

La Folle de Chaillot, Jouvet, décors et costumes Christian Bérard
d’admiration de la part du public. Des applaudissements sans fin saluèrent Louis Jouvet, Marguerite Moreno, Christian Bérard.
Devant des salles combles, la pièce fut jouée deux cent quatre-vingt dix-sept fois. Elle quitta l’affiche, non par manque de recettes, mais par l’épuisement des comédiens qui tombaient malades les uns après les autres. Marguerite Moreno et Louis Jouvet, eux mêmes succombèrent à la fatigue.
1946 : L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel, mise en scène Louis Jouvet – Costumes et décors

L’annonce faite à Marie, Louis Jouvet, costumes Christian Bérard
1947 : Dom Juan de Molière

Dom Juan, jouvet décors et costume Christian Bérard
La mise en scène de Jouvet comme la scénographie développée par Bérard séduisent le public ; le décorateur fait preuve d’inventivité en créant des costumes d’un style nouveau et un décor mobile qui permet de figurer deux lieux simultanément. Il garde un plateau assez épuré , persuadé que le détail, la discrétion attirent le regard plus qu’un décor massif. Par la suite on retrouve cette sobriété – notamment Dom Juan ou le Festin de Pierre en 1947- qui rejoint la conception de Jouvet d’un théâtre au service de l’auteur, de son texte.

Dom Juan, jouvet décors et costume Christian Bérard
1947 : Les Bonnes de Jean Genet, mise en scène Louis Jouvet, théâtre de l’Athénée – Décors C.B.
Le 19 avril 1947, au théâtre de l’Athénée, Les Bonnes est créé en lever de rideau d’une pièce un peu vieillotte de Giraudoux, L’Apollon de Marsac. Le public bourgeois, venu pour Giraudoux, reste muet devant Les Bonnes. « Lors de la générale, rapporte une des interprètes, il n’y a pas eu d’applaudissements », mais un « silence total […] C’était l’horreur ».

Décor réalisé pour la pièce de Jean Genet « Les Bonnes ». Photographie de René Giton dit René-Jacques (1908-2003).
Son vœu d’« établir une espèce de malaise dans la salle » a parfaitement réussi. Pour les autres représentations, il y a eu quelques quolibets, emboîtages et sifflets. En fait, jouée dans une atmosphère de véhémence politique et d’héroïsme de gauche, Les Bonnes déconcerte la critique. Si quelques rares journalistes, Dumur, Riniéri et Maulnier, soulignent « un nouveau style théâtral », la cinquantaine de comptes-rendus, que la pièce recueille, montrent leur embarras, ou carrément leur hostilité. Le 21 avril, dans Le Figaro, J.-J. Gautier la juge « impressionnante, mais déplaisante et même souvent odieuse » , le 2 mai,

Décors Les Bonnes, Christian Bérard sur le lit avec sa chienne Jacinthe
mais note que le sujet est «traité de travers ».
C’est en général l’irréalité de l’intrigue qui déplaît, aggravée, il semblerait, par les décors trop réalistes de Bérard. Genet et Sartre n’en sont pas satisfaits. Quoi qu’il en soit, la création des Bonnes n’indiffère personne et donne à Genet un statut d’écrivain, renforcé en juin par l’obtention du prix de la Pléiade, c’est-à-dire par le soutien hautement symbolique de certains membres de son jury : Sartre, Blanchot, Paulhan, Tual, Arland, et Bousquet (rejet, en revanche, de Camus). Dans ActionTardieu pense qu’« il est difficile de nier la beauté, un peu pompeuse et artificielle, du style de l’auteur»

Cette biographie, réédition d’un texte de Boris Kochno, son compagnon, dresse le portrait de celui qui fut le génial décorateur de Cocteau et de Giraudoux.
L’auteur témoigne au travers de l’hommage à cette éblouissante personnalité, du foisonnement créatif d’une époque marquée par l’entre-deux guerres puis l’occupation. Un ouvrage richement illustré de croquis de l’artiste et de portraits des personnalités les plus en vue du moment, rafraichissant !
Christian Bérard par Boris Kochno – 176 pages – 25 euros – aux éditions Nicolas Chaudun,
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