Louis Jouvet- Régisseur, décorateur, électricien, metteur en scène…
Chez Copeau, Louis Jouvet parfait la connaissance de son futur métier. Régisseur, décorateur, électricien, assistant metteur en scène, il suit parallèlement des cours à l’école du Louvre afin de devenir un authentique professionnel. Sur scène, il apparaît dans les costumes les plus divers jouant Alfred de Musset, Jean Schlumberger, Thomas Heywood, Shakespeare et Molière. Mais Jouvet ne peut travailler qu’une saison chez Copeau. La guerre met provisoirement fin à cette aventure. Engagé dans le conflit, il retrouve la «puanteur de l’iode» et le cauchemar des médications. Tour à tour, brancardier, infirmier, médecin auxiliaire de la Croix-Rouge, il parvient à « oublier » cet enfer en se plongeant dans les œuvres de Molière et dans l’Introduction à la vie dévote de saint François de Salles. Il réfléchit sur son métier, doutant de ses capacités sur scène. En 1915, il écrit à Copeau : «Je ne serai jamais un grand acteur et, d’ailleurs, ça m’est bien égal. »
Démobilisé en 1917, sous la protection de Georges Clemenceau, il part avec Copeau et une partie de la troupe du Vieux-Colombier aux États-Unis où la mission des uns et des autres consiste à porter haut les couleurs du théâtre français, en même temps que Jouvet dirige les travaux du Garrick Theatre de New York, inspiré de la scène élisabéthaine. De retour en France, en avril 1919, il poursuit son aventure avec Copeau pendant encore trois années. C’est chez lui qu’il invente un nouveau modèle de projecteurs qui portent son nom : les « jouvets ». Mais, les deux hommes ne s’entendent plus. En 1922, Jouvet saisit l’occasion de devenir son propre patron en prenant la direction de la Comédie des Champs-Elysées. Commencent alors les «années Jouvet » avec, le 14 décembre 1923, la représentation d’une pièce de Jules Romains, devant un parterre de célébrités parisiennes.
L’apport de l’électricité dans la mise en scène au théâtre et au music-hall
Louis Jouvet
» Toute la lumière consistait d’abord en quelques chandelles dans des plaques de fer-blanc attachées aux tapisseries ; mais comme elles n’éclairaient les acteurs que par derrière et un peu par les côtés, ce qui les rendait presque noirs, on s’avisa de faire des chandelles avec deux lattes mises en croix portant chacune quatre chandelles, pour mettre au-devant du théâtre. »
Si la tradition rapportée par Charles Perrault est exacte, tel était l’éclairage rudimentaire des scènes vers 1600. Et si l’on retrouvait aujourd’hui ces « lattes » ou ces « lustres » primitifs, les chandeliers de cristal, comme les appelle La Grange, suspendus au plafond de la scène de Molière, la « planchette » sur laquelle étaient fichées les chandelles qui l’éclairaient par en bas, les « torchères » que l’on plaçait de chaque côté, dans les « rues », entre les maisons du décor, lustres, planchettes et torchères pourraient reprendre exactement leur place sur le plateau actuel. Depuis le début du XVIIe siècle, rien ou presque rien n’a changé. L’emplacement des foyers lumineux est déjà déterminé. Éclairage par en bas et par devant, c’est-à-dire par la rampe ; éclairage par le haut réparti en différents plans (ainsi qu’on le voit en 1689 à l’Hôtel de Bourgogne) ; éclairage latéral, c’est-à-dire éclairage de côté par portants verticaux.
À l’intérieur de cette scène à l’italienne qui se perpétue, il n’y aura que simple substitution d’un système de luminaire à un autre, sources lumineuses différentes, et perfectionnements techniques qui en multiplient les possibilités d’utilisation. Le principe demeure et absorbe ces perfectionnements mêmes. À cette question : » D’où est-il préférable de faire parvenir la lumière pour éclairer le plateau ? « , Sabattini, dans son traité De l’art de construire les scènes (1638), Garnier, dans son livre de défense de l’Opéra, qu’il intitule Le Théâtre (1871), et les premiers ingénieurs qui, plus tard, aménagèrent l’électricité sur les scènes, répondent de la même manière. Ils s’expriment presque dans les mêmes termes : les chandelles, le gaz ou l’électricité ne changent pas les données du problème. C’est la même façon de répartir les sources.
Lumière vacillante, jaune orangé de la chandelle de suif, feu plus pâle et plus brillant de la cire, lueur fuligineuse et rougeâtre de la lampe à huile, flamme de la lampe d’Argant ou encore du quinquet qui parut si blanche et si éclatante qu’elle émerveilla le spectateur de 1780 ; clarté jaunâtre et fusante du gaz qui » paraissait vivante par le mouvement de sa flamme » disaient les chroniqueurs de l’époque ; puis éclat fixe, presque blanc, des premières lampes Volta et des lampes à incandescence, toutes ces lumières se succèdent à la rampe, aux lustres et aux portants, et ne se différencient guère que par leur intensité, leur couleur, leur puissance.
Mais, à comparer entre elles ces diverses sources lumineuses, on se fait une idée de la proportion dans laquelle l’éclairement de la scène a augmenté depuis le XVIIe siècle. Si on envisage l’instrument d’éclairage qu’est la rampe, nous pouvons, d’après les gravures de l’époque, dénombrer à peu près ses éléments : une rampe de trente chandelles devait être déjà un luxe ; la bougie ne donne point un grand progrès sur la chandelle (9 bougies équivalent à 10 chandelles) ; mais le quinquet vaut déjà 6 bougies de cire ; la lampe Carcel qui lui succède (et qui servira plus tard d’étalon pour déterminer la bougie décimale) a une puissance égale à 9 bougies décimales ; puis vient le bec papillon qui donne 15 bougies, et enfin le bec Auer, 120 bougies. Gradation constante, où l’œil du spectateur, illustrant les théories de Darwin, s’accommode à une illusion de plus en plus lumineuse.
Courbe de progression lente d’abord et qui soudain va subir une poussée violente du fait de l’électricité. Aujourd’hui, la rampe de la Comédie Française comporte quarante-huit réflecteurs, munis chacun d’une lampe de 150 watts, c’est-à-dire de 300 bougies, soit un total de 14.400 bougies décimales. Molière, sur la scène du Palais-Royal, n’était éclairé que par six lustres et une rampe munie de chandelles, pour les représentations ordinaires ; et nous savons qu’en 1718, avec 45 francs de chandelles, on illuminait le plateau de la Comédie Française et ses dépendances, c’est-à-dire les couloirs, la salle, les coulisses, les loges d’acteurs, les corridors et même la loge à la limonade. Deux cents ans plus tard, en 1900, on comptait un éclairement de 6.500 bougies pour la scène. Actuellement, la puissance des appareils d’éclairage de cette même scène totalise un minimum de 500.000 bougies.
La scène, née dans une obscurité savamment aménagée, s’est dépouillée petit à petit de sa pénombre et apparaît aujourd’hui distincte en toutes ses parties pour le spectateur. Cette mise en évidence brutale du lieu dramatique tel qu’il s’offre à nous de nos jours a contraint le metteur en scène et surtout le décorateur à une technique nouvelle. Il ne s’agit plus comme autrefois de rendre visible une toile verticale sur laquelle les architectures perspectives étaient peintes en raccourcis savants et où la lumière même était déjà figurée par des reflets et des ombres disposés harmonieusement, il s’agit de mettre dans une lumière vivante des plans nus où elle puisse, en se posant, jouer, et créer elle-même ses ombres et ses couleurs. L’éclairage a modifié l’art du peintre. La peinture est morte, les matières colorantes l’ont remplacée. La couleur n’est plus guère utilisable qu’en tant que matière. Le décor construit en volumes a pris la place du décor peint en découpages.
Le premier essai de la lumière électrique au théâtre eut lieu en 1846, dans une pièce intitulée Les Pommes de terre malades où l’on utilisa l’arc voltaïque. Cet essai fut renouvelé en 1848 à l’Opéra, dans Le Prophète, monté par Meyerbeer. Celui-ci pria l’illustre physicien Foucault d’y réaliser un lever de soleil, et Foucault, qui venait d’inventer son régulateur, l’utilisa avec grand succès. Dubosq, qui fut chargé peu après du service électrique à l’Opéra, y réalisa de nombreuses applications de la nouvelle lumière : imitations de la lune, du soleil, de l’arc-en-ciel, rayons de couleur évoluant avec les personnages, apparitions de spectres, fontaines lumineuses. Nous sommes en 1853. En 1884, sous forme d’accessoires également, la lampe à incandescence fit sa première apparition par les Bijoux lumineux de Trouvé, qui firent sensation aux Folies-Bergères. Dans le ballet des Fleurs merveilleuses, les robes des ballerines s’illuminaient de fleurs multicolores. L’invention eut un gros succès, et les accessoires lumineux : fleurs, bijoux, armures, motifs décoratifs, etc., se multiplièrent non seulement au music-hall où ils constituaient une attraction, mais aussi dans les spectacles d’opéra. les danseuses du ballet des Sylphes, dans La Damnation de Faust, portèrent des roses lumineuses au corsage, cependant qu’en Angleterre, dans ce même Faust, on imagina un duel électrique : du choc des épées jaillissaient des gerbes d’étincelles, et une lampe de 10 bougies, par le contact de l’épée de l’adversaire, « illuminait' », disent les journaux de l’époque, l’armure du combattant. Machines à faire la pluie ou le beau temps, l’orage avec ou sans tempête, les aurores boréales, les arcs-en-ciel et les crépuscules, appareils à faire les nuages ou le brouillard, le vent, la grêle et même la gelée, on ne s’arrête plus dans cette voie ; les imaginations les plus saugrenues se déchaînent et des catalogues où toutes les perturbations atmosphériques sont prévues mettent de puis quelques années à la disposition du metteur en scène, un choix de quatre-vingt-dix appareils permettant de les réaliser à s’y méprendre, disent les prospectus.
L’emploi de la lumière électrique fut pendant longtemps limité à cette imitation des phénomènes naturels. Ce n’est que lorsqu’on put compter sur un fonctionnement convenable des machines dynamo-électriques qu’il fut possible de l’utiliser pour l’éclairage général des théâtres. Le premier, en 1878, l’Hippodrome se transformait. À l’Opéra, en 1883, on équipait la salle et la rampe, et ce ne fut que trois ans après, en 1886, que l’électricité y remplaça définitivement le gaz. En 1887, cinquante théâtres en Europe en étaient dotés. On se borna d’abord à suivre la tradition de l’éclairage au gaz : même distribution, mêmes jeux de lumière. Mais bientôt, on comprit qu’on pouvait tirer des effets particuliers du nouveau fluide. En 1892, les ballets de Loïe Fuller furent une révélation. La danseuse, revêtue d’une ample robe blanche ou grise, évoluant sur un fond noir, était éclairée de feux multicolores et mouvants. Des machinistes, placés à différents endroits de la salle, dirigeaient sur elle la lumière d’un projecteur qu’ils tenaient de la main gauche, cependant que, de la droite, ils faisaient tourner un disque de verre divisé en secteurs de couleurs variées. On s’enthousiasma : cet emploi nouveau de la lumière électrique devait être une source d’inspiration qui bouleverserait la mise en scène. En fait, les éclairages de Loïe Fuller, comme les décors transparents, sont restés une expérience isolée qui ne pouvait rien apporter au théâtre, et dont seule le music-hall a profité. Mais l’impulsion était donnée : la porte était ouverte à toutes les imaginations.
Les rapides progrès réalisés dans la construction de ces appareils ont fait de l’éclairage électrique une industrie qui prend maintenant une place importante dans le budget du théâtre. Réflecteurs à facettes, grandes lanternes, cubilots, bouteilles, lanternes d’horizon, casseroles perfectionnées, projecteurs à effets, le tout pourvu de lampes puissantes de 1000, 3000, 5000 watts et muni d’écrans à quadruple ou quintuple effet, manœuvrables à distance, lampes à vapeur gazeuses : lampes à mercure, au néon, au sodium, projettent aujourd’hui une lumière qui, par son intensité, son éclat, sa coloration, bref par sa nature et sa qualité, tend de plus en plus à imiter la lumière solaire, ou donner des aspects fantastiques et irréels. Jeux d’orgues extrêmement multipliés, à mouvements indépendants ou synchrones, qui permettent d’exécuter de plus en plus aisément des combinaisons d’effets de plus en plus compliqués, de varier, de modifier progressivement ou brusquement l’éclat ou le régime d’utilisation des foyers lumineux. La lumière, s’évadant du cadre de la scène dramatique, non plus soumise aux strictes servitudes que celle-ci lui impose, libérée de toute contrainte, devient elle-même élément essentiel du spectacle. Elle trouve son véritable emploi et prend toute sa signification au music-hall. On peut même dire qu’elle a créé le genre : seule la lumière électrique, grâce à ses possibilités multiples et illimitées de transformation, pouvait permettre ces mises en scène qui tirent d’elle leurs plus sûrs effets. Elle n’est plus au service du jeu, le jeu est fait pour elle, elle le suscite. Et voici qu’on nous promet pour la prochaine exposition des symphonies et des ballets lumineux où elle constituera tout le spectacle. Je ne voudrais pas passer pour rétrograde, je ne voudrais pas non plus faire de peine aux successeurs de Foucault et de Gustave Trouvé, mais je crois que je préfèrerai longtemps aux effets lumineux du Théâtre Pigalle ou de la Tour Eiffel les feux de Bengale et les feux d’artifice d mon enfance.
Régnier, qui débuta sur la scène de la Comédie Française alors qu’elle était encore éclairée aux quinquets, puis plus tard joua devant une rampe à gaz et enfin, sur ses derniers jours, vit les premières scènes éclairées à l’électricité, dit dans ses souvenirs : » Mon expérience personnelle (…) me donne à penser que jadis aucun acteur n’eut à souffrir de jouer dans une salle sombre… Cet accroissement progressif du luminaire est pour moi, je le déclare sérieusement, sans valeur appréciable. Il me semble que je voyais, il y a soixante ans, Talma et Mademoiselle Mars aussi distinctement que je vois les acteurs maintenant. » Et il conclut avec justesse : » Peut-être le théâtre qui vit d’illusions pâtira-t-il un jour de la lumière dont on l’inonde aujourd’hui. » Cet aujourd’hui, c’était en 1880 !
Heureuse époque des quinquets ! Merveilleux décors en châssis découpés, plantés en triangle, saillant sur le noir absolu des coulisses et où le fantastique de savantes perspectives s’inscrivait avec art, costumes crasseux et somptueux dont la splendeur venait de l’épaisseur des velours et de leurs paillettes ! Magique transformation de la lustrine, du carton et des sparteries en matières précieuses ! Magnifique maquillage des acteurs, à qui il suffisait d’un peu de blanc d’Espagne, d’un peu de vermillon, d’un peu de bleu en billard et de quelques bouts d’allumettes brûlées, et dont le visage, recevant la pauvre et inquiétante lumière de la rampe, prenait dans un relief d’eau-forte une vie intense. Bienheureuse époque de l’ombre où la moindre torche de résine pouvait signifier, au gré du jeu, l’allégresse, le deuil, l’hyménée, la conspiration ou la royauté ; où les flambeaux éclairaient en tant que flambeaux ; où le plus petit lumignon, la plus modeste veilleuse avait un rôle humain et sensible ; où le nuage de lycopode en poudre qu’on insufflait par une pipe de terre se transformait, au feu du rat de cave, en la fulguration de l’éclair. Ce même éclair, qu’au temps des chandelles, un peu d’étoupe flambante et glissant sur un fil dans la nuit de la scène, suggérait bien mieux que cette lueur vraie, violacée et aveuglante, obtenue sur les plateaux modernes, par des appareils savamment agencés, et dont la clarté ne fait qu’accuser encore d’autres imperfections du décor.
Quelle puissante évocation pouvait être alors le bruit de la pierre roulée sur le plancher ou de la tôle secouée pour imiter le tonnerre, la poignée de petits pois remués au fond d’un carton de modiste pour évoquer la pluie diluvienne où les cavaliers chevauchaient. Les ombres créaient les fantômes mêmes de la pièce, ces fantômes errants dont le metteur en scène moderne cherche à peupler les coulisses par des moyens artificiels. La lumière a fait le vide sur la scène ! Bienveillante obscurité, favorable pénombre où l’attention redoublait, où l’imagination prenait une part active au jeu, où le spectateur voyait beaucoup plus et beaucoup mieux qu’aujourd’hui. Quels progrès avons-nous faits ? …de confort et seulement de confort. Il serait inexact de dire que le théâtre a bénéficié de l’accroissement de la lumière si l’on considère tout ce qu’il a perdu. Il a acquis, comme tout un chacun, des avantages dans ses habitudes domestiques, il s’est mis au goût du jour, mais il a perdu sa pénombre et partant un peu de son mystère et de sa magie. La lumière a engendré le réalisme.
Ce n’est pas cette « lumière-là » qui importe à l’art dramatique : la vraie lumière, chacun l’apporte avec soi au théâtre, l' »auteur », l' »acteur » et surtout le « public ». Et je ne crois pas que le fait d’y voir mieux ait fait voir plus clair au public d’aujourd’hui. Si l’on établissait une équivalence, de même que l’on a dit du parterre, quand on lui donna des banquettes : » Depuis qu’il est assis, il est amorphe « , on pourrait peut-être dire des spectateurs de nos jours : » Depuis qu’ils sont bien éclairés, ils voient moins bien « . Le théâtre a vu venir l’électricité, il a vu venir le cinéma, il en verra bien d’autres sans être autrement altéré. Je crois pour ma part, à la « perfectibilité », mais à celle qui ne dépend pas des « perfectionnements », si l’on veut prendre ce mot au sens où l’entendent les ingénieurs et les techniciens. Et ce n’est certes pas moi qui redirai ici le mot de Goethe : » Plus de lumière. «
Louis Jouvet (1887-1951), acteur,
metteur en scène
directeur de théâtre français,
au théâtre de l’Athénée. Paris, 1937.
© Gaston Paris / Roger-Viollet
Mécanique du théâtre…Louis Jouvet
Louis Jouvet, Témoignages sur le théâtre, Éditions Flammarion, coll. Champs arts, Paris,1952, pp. 23 et 24
La pièce “est une pensée qui se métamorphose en machine”. Telle est la définition désenchantée qu’Alfred de Vigny nous a laissée de l’art dramatique. C’est une phrase amère, catégorique, qui laisse deviner les déceptions que le théâtre a procurées au poète, mais elle parle à l’esprit.
Ce qui, en effet, intéresse le spectateur, dans une pièce véritable, est bien en dernier ressort la pensée ou les pensées qu’elle suscite dans son esprit ; mais c’est à travers une véritable machine que ces pensées naissent, s’installent, et se développent.
Machine du spectacle, machination des comédiens, machinerie des éléments de la scène, il y a un art mécanique et technique à la base du théâtre qui est un art de métamorphose ; l’art de changer les sensations, les sentiments et les idées du poète pour les rendre efficients sur le public, un art de représentation ou de traduction, un art d’expression, d’exécution, l’art de la mise en scène -si l’on veut résumer par une appellation tout ce qui Je dis mécaniquement à dessein pour employer le terme dont se sert Alfred de Vigny. Il l’emploie d’une façon péjorative et méprisante, mais il se sert aussi d’un verbe qui corrige et rectifie son mépris ; pour atteindre la mécanique, il faut une métamorphose.
Ceci dit, je suis tout à fait de l’avis du poète désenchanté par l’art dramatique. Le désenchantement fait partie de l’art des métamorphoses.
Les pensées, les sentiments, la substance dramatique, tout ce que l’auteur sécrète, tout ce que le public attend de son oeuvre, c’est par une mécanique, une technique que les comédiens y atteignent et font participer les uns et les autres. En cela est la métamorphose, et je n’y vois aucune raison d’écoeurement et de dégoût.»
Extrait Thèse université-lyon
http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2008.mase_y&part=151016
Jouvet décorateur-machiniste
On l’appelle depuis toujours « artisan du théâtre » ; ce titre évoque l’attitude sincère et persévérante de Jouvet vis-à-vis de la production théâtrale tout entière. Avec un soin très « artisanal », il ne laisse jamais au hasard le moindre petit détail. Il n’hésite pas à ordonner de refaire en entier le décor que ses machinistes ont préparé en passant une nuit blanche . Mais il est « artisan » dans le sens strict du terme également. Si Danièle Pauly consacre presque une trentaine de pages de son ouvrage, La rénovation scénique en France, à Jouvet comme architecte de l’espace scénique, et que la Bibliothéque Nationale de France organise l’exposition intitulée « Louis Jouvet et la scénographie » en Avignon en 1987, c’est pour éclairer sur le côté littéralement « artisanal » de Jouvet, décorateur-machiniste. En se lançant dans le milieu théâtral à l’âge de dix-huit ans en tant que « régisseur » qui est un « triste et glorieux emploi » selon ses propres termes, Jouvet apprend de l’art du théâtre avec ses collègues machinistes aussi subalternes que lui, en subissant « les incessantes réprimandes du directeur, le mépris des comédiens ou les rebuffades des autres serviteurs de la scène » . Plus tard, il participe à l’aventure du théâtre du Vieux-Colombier sous la direction de Jacques Copeau ; là encore, il travaille à la fois comme décorateur et acteur. En quittant Copeau, Jouvet reste « artisan » dans le théâtre des Champs-Elysées et approfondit ses réflexions sur la possibilité de formes diverses de l’espace scénique. Nous nous sommes intéressés à suivre brièvement l’itinéraire qu’il prit en tant que décorateur dans les années 1910-1920.
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