Louis Jouvet professeur au conservatoire
En octobre 1934, Louis Jouvet prend ses fonctions au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Durant l’année 1940, dans l’Europe en guerre, Louis Jouvet continue de faire de sa classe au Conservatoire, un espace protégé, où il transmet à de jeunes apprentis comédiens sa passion du théâtre. Dans ces cours donnés jusqu’à son départ en Amérique du sud, en 1941, Jouvet déploie une fascinante pensée pratique du jeu.
Il ne s’agissait pas pour lui – comme pour tout autre professeur de théâtre – de former des acteurs , de mettre au point des scènes de concours, de régler et de discipliner des vocations encore hésitantes ou malhabiles, de réfréner des ambitions trop impatientes. Le but qu’il se proposait siégeait en un étage autrement plus élevé. C’était « L’homme » qu’il cherchait à éveiller chez ces adolescents, en ouvrant devant eux sur la vie et sur leur future destinée de larges aperçus sur des horizons dont la révélation leur apportait sa chaude et féconde lumière.
Paul Abram Directeur du conservatoire National d’Art Dramatique
Jouvet sera un maître vénéré comme en témoigne son protégé François Périer :
« Voir Jouvet enseigner, l’écouter, l’observer, était une expérience unique, un festival de brio et d’intelligence théâtrale ».
« Alors comme ça, mon petit, tu veux faire du théâtre ? ». Sur le conseil de Louis Jouvet, François s’inscrit aux cours de René Simon (1935). « Tu es un valet comique » lui affirme son professeur.Proposé au concours d’entrée au

François Périer
Conservatoire à la fin de la 2ème année (1937), il présente «Scapin». Jouvet fait partie du jury. Tout le monde se souvient de la sentence : « Si Molière t’a vu, il a dû se retourner dans sa tombe ». Et la réponse qui fuse : « Comme cela, il sera à l’endroit car il vous a vu hier dans ‘L’école des femmes’ ! ».
Son esprit caustique est demeuré proverbial : lors du concours d’entrée, une apprentie comédienne s’avance en déclamant « Où suis-je ? » et reçoit cette réponse sans appel « Au Conservatoire… mais pas pour longtemps ! »
Les trucs du comédien.
Louis Jouvet, professeur au Conservatoire :
« Qu’attendent-ils de moi ?
Qu’imaginent-ils que sera ce cours ?
Quel service puis-je leur rendre ?
Au fond d’eux-mêmes y a-t-il un vif désir de savoir ?
Et savoir quoi ? leur avenir, oui – des trucs. »
Avoir affaire à des gens qui n’attendent de vous que des recettes, des procédés, en attendant un diplôme ; c’est le Conservatoire. Il faudrait que ces élèves aient d’abord le sens des difficultés de leur profession. Ils ne le peuvent pas. Ils sont bouchés, sourds et muets ; leurs ambitions, leurs appétits et l’ignorance totale d’un métier où il n’y a pratiquement pas d’expérience, pas de science générale, rendent tout effort pratiquement sans résultat.
Chercher des principes ? Il n’y a que des appétits et des ambitions, et des hasards – rencontres – chances. »
(Louis Jouvet, Le comédien désincarné)
Louis Jouvet, Tragédie classique et théâtre du XIXe siècle, cours au conservatoire, publiés en 1968, Gallimard
Qu’est-ce qu’enseigner le théâtre ? « (L. Jouvet) Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de fournir des premiers prix bien vernis, c’est de vous donner le contact avec vous-mêmes, sur des choses que j’ai expérimentées avant vous, des réflexions que j’ai faites à force de jouer la comédie pendant trente ans, que j’applique à ce que vous êtes. Je voudrais que vous sentiez en vous mon expérience. C’est ça la tradition d’un métier, que ce soit pour un métier manuel ou un autre. Il y a dans un métier manuel, en plus d’une expérience technique, une sensibilité proprement dite. Ce n’est pas seulement qu’il faille faire quelque chose de telle manière parce que c’est ainsi. Quand un artisan dit: Il ne faut pas faire ça ainsi, cela tient à des raisons profondes, à la connaissance parfaite qu’a l’artisan soit de la matière qu’il emploie, soit de l’usage auquel est destiné l’objet qu’il veut faire, et que seule l’expérience peut lui donner.
Ce qu’il faut que vous appreniez, en trois ans (et le métier de comédien serait le premier du monde si vous appreniez cela), c’est à vous connaître vous-mêmes. Le « connais-toi toi-même » de la philosophie antique, c’est tout le métier du comédien, tout son art. Se connaître soi-même par rapport à Alceste ou à Marguerite Gauthier, ce n’est pas donné à tous les gens qui font de la philosophie. »
* Plus qu’une articulation, la diction est la rencontre d’un style : « (Jouvet) il y a différents styles comme il y a différents auteurs. Quand vous aurez compris ces différents styles des différents auteurs, vous aurez le secret de la diction. On ne doit pas jouer Marivaux, Musset, Beaumarchais, Racine de la même manière.
Tu le comprendrais si tu avais joué une pièce de Bernstein, écrite avec des points de suspension, des interjections, à côté d’une pièce de Giraudoux, où il y a une phrase qui commande par son style un mécanisme différent de la sensibilité de l’acteur. Le mécanisme de la sensibilité chez l’acteur, la façon dont il dispose sa sensibilité, est fonction de l’écriture de la scène. Tu ne peux pas te comporter sensiblement dans une phrase de Marivaux comme dans un vers de Victor Hugo. C’est cependant ce qui caractérise à peu près, à l’heure actuelle, l’exécution de ce répertoire. »
Vidéos, Elvire-Jouvet 40
En 1986, les leçons sur Elvire de Dom Juan ont donné lieu à un magnifique spectacle de Brigitte Jaques, puis à un film, réalisé par Benoît Jacquot (Elvire-Jouvet 40).
Philippe Clévenot
Qu’est-ce que tu en penses ?
Maria (de) Medeiros
Je sens que ça doit être ennuyeux pour vous. Moi je suis bien, je suis dans un état agréable quand je donne ça.
Philippe Clévenot
Vous écoutez bien ce qu’elle vient de dire, je suis dans un état agréable quand je donne ça. Ça te fait plaisir ?
Maria (de) Medeiros
Il me semble que je suis dans l’état où Elvire doit être !
Philippe Clévenot
Je puis vous donner une indication qui est capitale chaque fois que vous éprouvez ce sentiment qu’une chose vous est facile. Je parle d’une chose obtenue sans effort, ce n’est pas bon. L’exécution d’un rôle, quel qu’il soit, comporte toujours quelque chose de pénible, de douloureux. Quelque chose à quoi l’effort doit participer sinon il manque quelque chose. Une exécution comporte toujours un effort, alors tu vois, tu aurais dû te méfier. Tu remarques que ce que tu fais est bien mais qu’est-ce qu’on peut te reprocher ?
Comédien 2
Elle se laisse aller un peu à la musique du texte ?
Philippe Clévenot
C’est juste, quoi encore ?
Comédien 3
J’ai l’impression qu’elle manque un petit peu de présence vis-à-vis de Dom Juan et que Dom Juan peut n’en être pas touché parce qu’elle est trop éloignée.
Philippe Clévenot
De présence tout simplement dans ce qu’elle fait, il manque la présence par rapport au public. Ce n’est pas convaincant, cela ne touche pas, cela ne passe pas la rampe et c’est parce que tu es si confortable dedans que cela ne passe pas la rampe. Quand tu dis un texte avec le sentiment de le dire juste, mais en pensant, j’éprouve un sentiment agréable, je suis dans un sentiment juste, le texte passe bien dans ma bouche, je respire bien et cetera, tu ne fais pas d’effort.
Travail sur un scène d’Elvire dans le Don Juan de Molière. Au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique à Paris en 1940. Professeur : Louis Jouvet ; Elève: Claudia.Mise en scène : Brigitte Jaques
Vous pouvez retrouver les leçons suivantes 3 ,4 ,5, 6, 7 sur Youtube
Films
Entrée des artistes , 1938
Un extrait d’ Entrée des artistes au cours duquel Louis Jouvet vient défendre une de ses élèves au conservatoire.
Livres
Écoute, Mon ami
- Auteur: Louis Jouvet
- Editeur : Flammarion
- illustrations de Christian Bérard
- Date de parution : 19/05/2001
- EAN13 : 9782080682109
Méditation sur le métier et la vocation de l’acteur, rédigé en 1942 lors d’une tournée en Amérique du Sud qui fut aussi un exil, ce texte fragmentaire de Louis Jouvet.
Quelques maximes extraites du livre:
« Le profond ne nous touche que par la surface. »
« On n’assimile rien au théâtre que pour restituer. »
« Il y a dans la loge, là-bas, au fond, pendant que tu joues, un couple dont l’homme pense à ses affaires et la femme à son amant. »
» On fait du théâtre parce qu’on a l’impression de n’avoir jamais été soi-même et qu’enfin on va pouvoir l’être.
Isabelle Stibbe, Bérénice 34-44, Serge Safran Éditeur, 316 p.,également en livre de poche
La secrétaire générale de l’Athénée Théâtre Louis Jouvet est une romancière de talent. Isabelle Stibbe signe avec Bérénice 34-44 sa première fiction, publiée aux éditions Serge Safran.
Isabelle Stibbe a été responsable des publications de la Comédie-Française, c’est dire si le rouge et or de Richelieu n’a aucun secret pour elle. C’est naturellement que son roman porte le nom d’une héroïne classique, Bérénice, et qu’il se situe au cœur du Français. C’est l’histoire d’une petite fille qui voulait devenir comédienne et qui y arrive envers et contre le refus de ses parents. C’est l’histoire d’une ado de 15 ans qui coupe les ponts avec son père et sa mère. C’est l’histoire d’une petite juive qui a 22 ans en 1941. C’est l’histoire d’une demoiselle brune qui a déjà changé de nom avant sa naissance et qui en changera trois fois entre 34 et 44. C’est l’histoire de Louis Jouvet qui ferme la porte à clef de sa classe au Conservatoire pour que les retardataires ne puissent pas entrer. C’est l’histoire de l’Armée Juive qui sauva tant d’enfants. C’est l’histoire de Jean Vilar et de « Jeune France ». C’est l’histoire de français juifs qui croyaient en leur Etat protecteur. C’est l’histoire d’une trahison. C’est une histoire, mais ce n’est pas du théâtre, c’est l’histoire de France.
Résumé
1934. Malgré l’hostilité de ses parents, Bérénice, 15 ans, est admise au Conservatoire, dans la classe de Louis Jouvet. Sa vie est désormais rythmée par l’apprentissage des grands rôles du répertoire et par ses rencontres avec des acteurs de renom… Trois ans plus tard, elle entre à la Comédie-Française et prend le nom de Bérénice de Lignières. Rien ne peut entacher son bonheur, ni la montée du fascisme en Europe, ni les rivalités professionnelles ou amoureuses. Mais au tout début de l’Occupation, avant même la promulgation des lois raciales, la maison de Molière exclut les Juifs de sa troupe. Dénoncée par une lettre anonyme, Bérénice – son père est né dans un shtetl russe – est rattrapée par son passé. Sous les ors et velours de la Comédie-Française va se jouer un drame inédit, celui d’une actrice célèbre, prise au piège d’une impitoyable réalité. Un premier roman maîtrisé et captivant, lauréat de nombreux prix.
Extrait, p.198 (…) ( Ndlr : Jacques Copeau, administrateur de la Comédie-Française)…Tous, nous sommes émus part le sort de nos camarades israélites. Mais… et… car peut-on sacrifier tout le personnel de la Maison au nom de quelques-uns ? Songez bien que le personnel en son entier se retrouvera au chômage.
Pierre Dux : Que proposez-vous ? Acceptez ce chantage indigne des Allemands ? Nous comporter comme les barbares qu’ils se montrent ? C’est notre honneur qui est en jeu. La Comédie-Française ne peut se mettre à la botte de Berlin.
L’entrée en scène chez Louis Jouvet
Eve Mascarau , Allocataire moniteur – Département des Arts du spectacle de l’Université Nanterre Paris Ouest La Défense – Chercheur associé à la BnF sur le fonds Louis Jouvet depuis octobre 2012.L’entrée en scène, Dossiers, Derrière la porte, mis à jour le : 28/11/2015
Résumé
Le travail de l’entrée en scène est capital dans la pédagogie de Louis Jouvet : si l’acteur sait « attaquer » une scène, alors il saura la jouer, tout son travail découlant naturellement de ce premier moment. Pour parvenir à réussir cette entrée en scène, Jouvet met en place une technique grâce à laquelle il explique comment entrer sur la scène (par la marche) et dans le texte (par la respiration). Aussi ce prisme, au cœur de son édifice mental, est décisif pour aborder certaines notions clefs de cette pensée riche et foisonnante et faire affleurer ce que Jouvet appelle l’ « énigme de l’entrée en scène », qui est certainement l’énigme du théâtre même.
Dossier complet sur
Eve Mascarau est également l’auteur de :
« Louis Jouvet, Introduction et choix de textes » , Actes Sud-Papiers, coll. « Mettre en scène »
Voir le lien ci-dessous pour davantage d’informations :
Elle a organisé avec la participation de Jean-Louis Besson, Joël Huthwohl, Karine Le Bail, Jean-Loup Rivière, Marc Véron le Colloque
Louis Jouvet, artisan de la scène, penseur du théâtre
Du 23 mars 2015 au 25 mars 2015
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